Ce jeudi 15 mars, les salariés d’Alcatel-Lucent, venus de toute l’Europe, manifesteront à Paris contre le plan de restructuration qui prévoit 12 500 suppressions de poste, dont 1 500 en France. Ce même jour, les 140 000 salariés de la métallurgie du Nord-Pas-de-Calais, frappée de plein fouet par les licenciements chez les équipementiers de l’automobile, sont appelés à faire grève et à manifester à Douai. Le lendemain, c’est à Airbus qu’est prévue, à l’échelle européenne, une journée d’action contre les 10 000 suppressions de postes annoncées par le groupe, dont 4 300 en France. Débrayages et manifestations ont déjà eu lieu dans les villes et régions touchées par cette réduction brutale des effectifs, aggravée par les licenciements qui en découlent dans toutes les entreprises sous-traitantes.
Le trust automobile PSA, quant à lui, a confirmé, par la voix de son nouveau PDG, Christian Streiff, sa volonté de restructurer. Son prédécesseur, Jean-Martin Folz, avait annoncé, en septembre dernier, 10 000 suppressions de postes en Europe de l’Ouest, dont 7 000 à 8 000 en France. Streiff n’a pas démenti. La question de la « réduction des coûts » est « primordiale et, plus qu’un changement, je souhaite une véritable rupture », a-t-il averti. Et c’est en annonçant un bénéfice de 4,1 milliards d’euros que les dirigeants de France Télécom se sont félicités de la mise en œuvre de leur plan qui prévoit de supprimer 22 000 postes d’ici à 2008.
La colère et le mécontentement que suscitent ces licenciements massifs ont contraint les principaux candidats à la présidentielle, Sarkozy, Bayrou et Royal, à y aller de leurs propositions pour « sauver Airbus ». Tous veulent maintenant que l’État, qui est encore actionnaire du groupe à hauteur de 15 %, intervienne, même Sarkozy, l’ultralibéral qui déclarait, il y a peu, que les États (français et allemand) n’étaient pas les « actionnaires les plus avisés ». Les socialistes Strauss-Kahn et Jospin n’ont pas manqué de dénoncer ce retournement de veste et ont accusé le gouvernement de la situation à Airbus. « On peut légitimement se demander si, depuis 2002, l’État a correctement rempli le rôle d’actionnaire qui est le sien. La réponse est non. » Et de se vanter d’avoir « créé EADS », dont Airbus est la filiale. L’État, donc, devrait intervenir... mais ce sera comme il l’a toujours fait, dans l’intérêt des actionnaires privés.
En 1999, sous le gouvernement Jospin et alors que Jean-Claude Gayssot (PCF) était ministre des Transports, l’État avait effectivement permis la naissance du trust européen de l’aéronautique et de la défense, EADS, après avoir présidé à la fusion d’Aérospatiale et de Matra. Ce fut une excellente opération pour l’industriel de l’armement Lagardère, le PDG de Matra, qui s’était vu offrir par l’État, à un prix nettement sous-évalué, les actions d’Aérospatiale, lui permettant de prendre le contrôle du nouveau groupe ainsi constitué. Or, voilà qu’aujourd’hui, Lagardère, comme d’ailleurs le groupe privé correspondant en Allemagne, Daimler-Chrysler, veut se dégager d’EADS... et ce serait aux États d’aider EADS à augmenter son capital en prenant l’argent dans la poche des contribuables.
Comble de cynisme, les dirigeants d’EADS ont annoncé leur volonté de verser des dividendes à leurs actionnaires. En France, campagne électorale oblige, Villepin a réagi par une indignation hypocrite. Ce qui lui a valu cette réplique cinglante du coprésident allemand d’Airbus, Enders : « Aucun gouvernement ne décide de notre dividende. »
De quoi alimenter les réactions chauvines, de chaque côté du Rhin, chez tous ceux qui ont intérêt à diviser les salariés en se faisant les champions de « l’industrie française » ou « allemande ». Mais des deux côtés de la frontière, ce sont bien les intérêts des actionnaires que défendent les gouvernements, dont pas un ministre n’a dénoncé le fait qu’EADS licencie alors que sa santé financière est florissante, grâce en particulier à ses activités dans l’armement. L’annonce ou la confirmation de dizaines de milliers de licenciements dans ces trusts géants que sont Alcatel-Lucent, EADS, France Télécom ou PSA surviennent au moment où tombent les derniers résultats de 2006 pour les groupes du CAC 40. En 2005, leurs bénéfices s’étaient élevés à 85 milliards d’euros. Ils dépasseront probablement, cette année, les 100 milliards d’euros, dont 38 milliards devraient être reversés aux actionnaires sous forme de dividendes, en augmentation de 20 % par rapport à l’an dernier.
On nous dit que les « petites entreprises », elles, sont étranglées par les difficultés. Mais ce sont, la plupart du temps, des entreprises sous-traitantes, par le biais desquelles les grosses « réduisent leurs coûts », externalisent une partie de leur main-d’œuvre, dès lors payée moins et dans une situation plus précaire. Cette politique s’inscrit dans l’offensive menée contre les salariés et l’ensemble de la population pour augmenter les bénéfices du capital au détriment de l’emploi, du salaire, générant le chômage, la précarité et des conditions de vie toujours plus dures pour le plus grand nombre. C’est bien une contre-offensive de l’ensemble du monde du travail qui pourra y mettre un coup d’arrêt.