On savait depuis longtemps que l’exécutif français, à la tête duquel se trouvait alors François Mitterrand, avait pris fait et cause pour le parti des bourreaux et non des victimes, au moment où le génocide se déroulait. Des manifestations associatives (LDH, MRAP….) eurent lieu pendant les événements, qui pointaient déjà la responsabilité des autorités françaises dans leur choix de soutenir le régime en place au Rwanda, organisateur du génocide.
Mitterrand aux commandes
Ces choix étaient en bonne partie dus à Mitterrand en personne. Celui-ci, ancien ministre « de l’Outre-mer » (autrement dit, des colonies) en 1950, était resté toute sa vie durant l’adepte d’une grille de lecture des politiques africaines qui découpait le continent en zones d’influence. Et il analysait le conflit au Rwanda, entre un gouvernement qui adoptait des mesures racistes au nom des prétendus intérêts de la population Hutu, et le mouvement de guérilla du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui au pouvoir à Kigali) s’appuyant essentiellement sur des membres de la minorité des Tutsi, comme un complot des puissances anglo-saxonnes – qui soutenaient selon lui le FPR – pour réduire la zone d’influence française.
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Au cours de la dernière phase du génocide, Patrick de Saint-Exupéry, envoyé sur place par le Figaro, avait assisté aux événements et observé les mouvements de l’armée française dans le cadre de l’opération « Turquoise » déclenchée le 22 juin 1994. Le journaliste avait pu constater que l’armée française avait trouvé des survivants du génocide sur la désormais fameuse colline de Bisesero – lieu où des milliers de rescapéEs avaient pu résister pendant des semaines aux tueurs – mais les avait laissés seuls entre les mains de leurs bourreaux pendant trois jours, avant de se résoudre à y revenir. Une association comme Survie a toujours milité pour rendre publique cette vérité.
Juppé ordonne d’exfiltrer les génocidaires
Une nouvelle enquête, s’appuyant sur des éléments puisés dans les archives, vient de jeter une lumière crue sur l’ombre qui entourait longtemps ces horreurs. Mediapart a en effet publié, le 14 février, un article de Fabrice Arfi qui relaie des recherches de l’universitaire François Graner, membre de l’association Survie. En juin 2020, le Conseil d’État avait forcé l’exécutif à permettre un accès aux archives laissées sous la présidence de François Mitterrand. François Graner y a trouvé notamment un échange de télégrammes entre Yannick Gérard, ambassadeur français à Kigali, et le cabinet d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères. Gérard, conscient de qui étaient les génocidaires, avait notamment alerté le Quai d’Orsay sur la présence de leurs dirigeants dans la zone contrôlée par l’armée française dans le cadre de l’« opération Turquoise ».
Gérard proposait, concernant ces dirigeants, dont plusieurs avaient ouvertement appelé à « l’élimination physique des Tutsis » de « les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée ». Mais le 15 juillet 1994, Bernard Emié, alors conseiller d’Alain Juppé – et aujourd’hui dirigeant de la DGSE – lui intimera de laisser ces dirigeants quitter discrètement la zone contrôlée par l’armée française, et suggérera à l’ambassadeur de s’appuyer sur des acteurs africains « en ne [s’]exposant pas directement ».
Une nouvelle preuve de la couverture fournie par la France officielle aux génocidaires, qui montre en outre l’implication directe de l’entourage d’Alain Juppé. La France avait alors un gouvernement de cohabitation, et l’essentiel de la responsabilité de la politique au Rwanda était jusqu’ici attribuée à l’Élysée (Mitterrand et son conseiller Hubert Védrine). Leur responsabilité reste entière mais la droite, qui gouvernait alors sous la présidence mitterrandienne, y a activement participé.
Bertold du Ryon