S’il fallait une preuve supplémentaire du désintérêt pour l’école publique de la Macronie, la voici. À Saintes, le 4 mai dernier, Emmanuel Macron, accompagné de son fidèle ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, est venu proclamer ses mesures pour le lycée professionnel. Le lendemain, en guise de service après vente, le ministre a détaillé les modalités de mise en œuvre de la réforme, en particulier l’ajustement des offres de formation sur des besoins selon les territoires, et donc la fermeture de nombreuses filières dès la rentrée prochaine, comme le montre la carte suivante issue du dossier de presse :
Illustration non reproduite ici.
C’est uniquement sur cet aspect de la réforme (qui est indéfendable en tous points) que j’aimerais me concentrer ici [1] :
À la question posée par le journaliste de France Info : « Que vont devenir les enseignants des filières que vous allez fermer ? », Pap Ndiaye répond ceci :
« Ils peuvent se diriger vers le professorat des écoles, un certain nombre d’entre eux le choisissent, ou également vers les collèges. Il y a des transferts, c’est également quelque chose que nous allons encourager, ils peuvent également au sein des lycées professionnels animer un certain nombre de choses, par exemple les bureaux d’entreprises que nous allons créer dans chaque lycée professionnel ».
La réponse est vertigineuse.
Déjà sur les réseaux sociaux, de nombreux collègues enseignant en lycée professionnel font part de leur colère et de leurs angoisses. Le niveau de mépris et de violence atteint des sommets. Apprendre début mai que, dès septembre, le poste qu’on occupe aura disparu, c’est se préparer possiblement à un basculement professionnel et familial abyssal. Où vais-je atterrir ? Faudra-t-il déménager ? Comment vais-je pouvoir organiser la garde des enfants ? Que deviennent les projets pédagogiques bouclés à la fin du printemps pour l’année suivante ? Et j’en passe. On croyait cette maltraitance réservée aux salariés du privé en prise avec les magnats des délocalisations ; mais elle s’installe bel et bien dans la fonction publique qui ne protège donc plus de rien.
Pire encore, ce sont les mêmes arguments de « mobilité », « agilité » qui sont rebattus dans la communication officielle. Comme si les collègues ayant passé un concours pour enseigner à de jeunes adultes de la voie professionnelle avaient soudainement envie de se retrouver devant des enfants de primaire ; comme s’ils en avaient les compétences, comme si tout cela était interchangeable. On voit bien ici la méconnaissance des différents métiers de l’Éducation nationale, mais aussi comment le dogme de la rationalité comptable et budgétaire est venu exploser le peu de considérations qu’il restait pour le métier d’enseignant.
Comment espèrent-ils recréer des vocations ? Qu’ont-ils à offrir sinon un « Pacte » délétère qui concentre à lui seul toute l’idéologie néolibérale présidant à leur projet de destruction planifiée de l’école publique ?
Que l’on ne s’étonne pas des désertions, des dépressions, de toute la souffrance au travail qui s’est implantée dans l’école. Elle est à la mesure de leurs piétinements successifs d’un métier qui devrait pourtant être au cœur de ce qu’ils aiment appeler le « pacte républicain ».
La réforme du lycée professionnel n’est pas simplement un cadeau aux entreprises, comme le notent à raison toutes celles et ceux qui l’analysent de près, elle est une capitulation sur la mission éducative d’une école publique qu’ils rêvent en entreprise. L’implantation des « bureaux d’entreprises »dans les lycées en témoigne. Autrefois, on avait considéré comme un progrès la mise en place de l’école obligatoire pour accueillir les enfants d’ouvriers et les soustraire à l’usine ; aujourd’hui on laisse s’installer l’entreprise dans l’école, quel beau projet.
Cette réforme est le laboratoire d’observation de ce qui nous guette dans l’ensemble de la fonction publique : transformer les enseignants en agents jetables et malléables, aux bottes du marché et caporalisés par un pilotage politique et administratif de plus en plus brutal. Ce n’est plus un ministère mais un bureau géant « RH » (ressources humaines) qui vend de la reconversion au rabais. On appelle cela un plan social. Aujourd’hui, nos collègues de l’enseignement professionnel sont touchés, mais qui seront les suivants ?
Laurence De Cock
Professeure d’histoire-géographie