A Alger, Fayçal avait des cheveux courts et noirs et travaillait dans une société d’assurances. Dans sa boîte aux lettre, il trouvait des mots :« Tu seras tué ! le Coran ne tolère pas les impies ! » Il s’est fait cracher dessus, agresser, on lui a jeté des pierres. A qui se plaindre ? « les policiers nous chassent. Dans nos familles, nul ne nous adresse la parole. Du réveil à la nuit, c’est un cauchemar, plusieurs amis ont été égorgés ! »
Fayçal s’est enfui. A Paris, en 1999, il a 27 ans, et devient Cindy, une grande blonde aux longs cheveux et au regard pâle. Des seins lui ont poussé : « Je suis hormonée. » Sur les boulevards, elle fait « les hommes qui font semblant de me prendre pour une femme et les homos refoulés ». A Paris, Cindy a retrouvé Mehdi, qu’elle avait connu adolescent à Alger. Mehdi, 25 ans, un beau garçon aux grands yeux noirs et cheveux drus, a une clientèle différente. Il fait « gigolo » pour les hommes dans le XVIe arrondissement. Parfois grimé en femme. Deux fois, il a été arrêté. Au commissariat, les policiers lui ont ôté sa perruque : « J’étais démasqué, un homme maquillé, en minijupe face à des racailles qui m’ont insulté toute la nuit. » Cindy a été relâchée d’une nuit de garde à vue « dans ma tenue scandaleuse de la nuit, devant tous. J’ai supplié qu’on appelle un taxi, on m’a dit »Dégage ! T’en trouveras un plus loin« ».
Avec son traitement, un suivi psychiatrique pour « troubles sévères de l’identité sexuelle » et deux tentatives de suicide, Cindy a obtenu des papiers « étranger malade » en 2001. Retirés début 2004, le médecin de la préfecture attestant que « son traitement peut se poursuivre en Algérie, les hormones pouvant lui être administrées de manière détournée ». « Minable et archifaux ! s’emporte Emmanuel Nicolino, l’avocat de Cindy, non seulement son traitement est impossible en Algérie, mais le Code pénal de son pays punit l’homosexualité de 2 ans de prison ! ».
L’avocat a tant pris fait et cause pour elle qu’au tribunal administratif où il plaidait sa cause un gendarme a dû s’interposer avant qu’il ne tape sur son confrère de la préfecture. Il a quand même gagné à force d’accumuler des preuves du sort réservé à Cindy en Algérie, et arraché pour elle un récépissé provisoire. Le préfet a fait appel, il faudra plaider à nouveau. Mehdi, lui, n’a jamais eu de papiers. Sur le trottoir, il pense souvent qu’il lui faudrait « trois têtes... » : « Une pour guetter la police, une pour faire gaffe aux voyous qui nous agressent et une, enfin, pour aguicher les clients. »
Ces papiers, ils en rêvent. « Je voudrais que la prostitution ne soit qu’éphémère, plus tard, je travaillerai dans la mode », espère Mehdi. « Moi, dans la vente », ambitionne Cindy. En attendant, ils prient de ne jamais repartir. « Notre vie est dure, mais ici, en France, nous avons connu la liberté et l’humanité, on ne nous tape pas dessus parce qu’on est des homos ! L’Algérie n’est pas pour nous, on veut nous découper ! ».