Chaque année, de nouvelles victimes de l’amiante meurent. Il s’agit souvent d’ouvrières et d’ouvriers que les patrons ont (en toute connaissance de cause) forcés à travailler sans protection, voici trois décennies. Comme ceux de l’arsenal de Cherbourg, dont les veuves sont interviewées dans Le Monde du 23 avril : « C’étaient des ouvriers. Alors on s’est moqué de ce qui leur arrivait. Longtemps on a dit qu’ils étaient malades parce qu’ils fumaient ou parce qu’ils buvaient ».
Ils restaient condamnés au cancer dans la plus grande indifférence patronale et publique. Jusqu’à ce que le personnel de la prestigieuse université de Jussieu soit, en 1975, frappé à son tour. Alors seulement, dans notre France républicaine, le mur de classe et le mur du silence ont pu être brisé — au prix néanmoins d’un dur combat mené par le Comité Jussieu. Même alors, une vérité connue de longue date ne s’est imposée que par la mobilisation. En 1977, l’amiante est officiellement reconnu comme un produit hautement cancérigène.
Prévenus du risque légal (et fort peu concernés par le risque sanitaire), les industriels du secteur ont pris le contrôle de la politique de prévention, quitte à mentir comme des arracheurs de dents en prétendant notamment que rien ne pouvait remplacer l’amiante. Ils ont ainsi gagné vingt ans de profits, au prix d’autant de vies humaines. « Nous nous sommes fait rouler » reconnaît le pneumologue Patrick Brochard. « Les problèmes de santé au travail ne peuvent faire l’objet d’un compromis entre partenaires sociaux. Ils ne se négocient pas ». Sagesse tardive, mais sagesse quand même.
Sagesse immédiatement oubliée par l’ordre économique libéral qui n’a de cesse de toujours plus désarmer l’administration publique, qui seule peut déployer une politique nationale de santé.