De Rome,
La vie politique italienne révèle un paradoxe. Des millions de personnes se sont mobilisées pour soutenir la politique du gouvernement, mais la popularité de Prodi est au plus bas et son gouvernement risque de tomber à tout moment.
Plus de 3,5 millions d’électeurs (chiffres des organisateurs) ont voté pour choisir le secrétaire du nouveau Parti démocrate (PD) [1]. Pour le maire de Rome, Walter Veltroni, élu avec presque 80 % des suffrages, ce fut un véritable plébiscite. C’est avec le même processus de primaires que, voilà deux ans, Romano Prodi avait été désigné comme leader de l’alliance de centre gauche. Cette énorme participation est le signe d’une mobilisation en soutien au gouvernement face au risque d’un retour des droites. Mais elle traduit aussi une insatisfaction devant la situation et un désir de renouveau, certes pas de gauche, dont profite l’image moderne que se donne Walter Veltroni.
Le 12 octobre, les trois centrales syndicales, la CGIL, la CSIL et l’UIL ont appelé leurs membres à se prononcer sur un accord, qu’elles ont signé en juillet avec le gouvernement, sur les retraites et les contrats de travail. 5 millions de personnes (chiffres des organisateurs) ont voté « oui » à 80 %. Ainsi, les directions syndicales ont décidé de soutenir un accord qui aggrave la législation en matière de retraite – l’âge de départ ayant été relevé et le mode de calcul de son montant s’étant dégradé – et qui intègre la fameuse loi 30 du gouvernement de Berlusconi [2] dans une loi dite de prévoyance sociale. Tel est le fruit des actuels rapports de force et de la capitulation définitive des syndicats. Au lieu de lutter contre cette loi, en discussion au Parlement, ils ont décidé de la faire soutenir par leurs adhérents en échange d’une reconnaissance de leur droit de veto.
La manifestation organisée par la gauche du gouvernement, le Parti de la refondation communiste (PRC) et le Parti des communistes italiens (PDCI), le 20 octobre, a vu 1 million de personnes descendre dans la rue (selon les organisateurs, les estimations plus sérieuses parlent de 100 000 à 150 000 personnes). Cette manifestation a été convoquée, non pas contre le gouvernement, ni même contre sa politique, mais simplement pour le « respect du programme du gouvernement », autrement dit pour « déplacer à gauche » la politique de Prodi. Deux éléments ont dominé l’événement : le souci de ne pas faire tomber le gouvernement et le soutien à l’unité en cours de formation à la gauche du gouvernement (regroupant le PRC, le PDCI, les Verts et la scission des ex-Démocrates de gauche conduite par Fabio Mussi). La presse définit ce nouveau regroupement comme « la chose rouge ».
Il s’agissait donc d’une manifestation velléitaire : de protestation, mais sans toucher au gouvernement ; de participation, mais en donnant un chèque en blanc aux organisateurs. Elle répondait à l’insatisfaction provoquée par la précarité et la loi sur la loi de prévoyance sociale, mais se refusait à avancer la moindre revendication précise, la banderole qui ouvrait la manifestation étant « Nous sommes tous un programme ».
La manifestation paraît déjà oubliée et le gouvernement risque de tomber. On vote actuellement la loi de finances et la loi sur la prévention sociale, et il n’est pas certain qu’il se trouve, au Sénat, une majorité pour les voter. La Gauche critique, représentée dans cette Assemblée par Franco Turigliatto, a déjà dit qu’elle ne les soutiendrait pas. Le président de la Chambre des députés, Fausto Bertinotti (également secrétaire du PRC), a annoncé, rencontrant un grand écho dans la presse, que si Prodi tombait, on pourrait mettre en place un « gouvernement institutionnel » – un exécutif placé sous l’égide du président de la République, donc non « politique » – ayant pour mandat de faire adopter une nouvelle loi électorale. À noter qu’un tel gouvernement pourrait être élargi à des composantes de la droite.
Faillite du gouvernement
Cette grande confusion risque d’obscurcir la question essentielle, à savoir que le gouvernement Prodi a suivi une politique patronale et libérale, respectant rigoureusement les prescriptions de Bruxelles et faisant cadeau d’environ quinze milliards d’euros aux entreprises italiennes (en deux ans, cela représente davantage que ce qui avait été fait, en cinq ans, par Berlusconi). S’il y est parvenu, c’est dans la mesure où les syndicats et la gauche y ont consenti, comme cela s’est toujours passé. Malgré les attaques, il n’y aura eu, cet automne, aucune grève générale, à l’exception de celle des métallurgistes de la Fiom (fédération qui a voté « non » au référendum sur la loi de prévoyance sociale, se retrouvant du même coup en procès à l’intérieur de la CGIL), et du mouvement général du 9 novembre appelé par le syndicalisme alternatif et soutenu par les force ayant organisé la manifestation du 9 juin dernier contre Bush.
C’est la politique du gouvernement qui est à l’origine de sa crise. Les sondages accordent 30 % de soutien à Prodi, l’alliance sur laquelle il s’appuie se trouvant à 42 %-44 % et Berlusconi se trouvant à son apogée. Pour la gauche du gouvernement, il s’agit d’une faillite, mais nul ne veut le reconnaître, espérant rebondir dans une énième cabriole. Sur la lancée du succès de la manifestation du 20 octobre, se tiendront, les 8 et le 9 décembre, les « états généraux de la gauche », première étape d’un processus d’unification de la gauche du gouvernement. La reconstruction et la relance d’une nouvelle gauche, de classe et anticapitaliste, est encore à mener à bien.