Professeur Revelli, d’abord la crise, ensuite un resserrement de la majorité qui ne laisse que peu d’espace à la dialectique des forces politiques. La gauche sort-elle affaiblie de cette crise ?
La gauche doit réfléchir sérieusement sur ce qui est un changement du statut de la démocratie. On est face à une dérive oligarchique dans laquelle les rapports entre les leaders des forces politiques comptent bien plus que les rapports entre représentants et représentés. Dans cette dérive, une des options fortes de la gauche radicale était de faire valoir des brindilles de représentativité, de porter dans les institutions la voix des mouvements.
Elle s’y est essayé…
Le recul évident sur le front des droits au lendemain de la crise nous dit que ce que nous croyions être une chance pour les mouvements, à savoir leur représentation dans les institutions, est devenue un instrument de chantage contre ces mêmes mouvements.Après la crise, ceux qui sont allés à Vicenza, ils rasent les murs…
Vous dites donc que la tentative de connexion entre la rue et le palais est vouée à l’échec ?
Hélas ! Elle a déjà échoué. La présence de la gauche radicale dans le gouvernement est une épée de Damoclès qui pend sur la tête des mouvements : si leur voix est si forte pour se faire entendre dans les institutions, ils risquent la catastrophe. Aujourd’hui, celui qui oserait lever une pancarte contre la TAV [les lignes contestées de trains à grande vitesse] serait immédiatement accusé de Prodicide (…).
Mais une des tâches de la gauche est bien celle de porter ces voix dans les institutions…
Ce n’est pas une question de bonne volonté. Ici, nous sommes face à une faillite structurelle, à un anéantissement du principe de représentation qui était un résidu des vertus démocratiques du siècle passé à faire valoir dans le modèle de démocratie qui se dessine dans la globalisation.
Donc, les instances des mouvements n’ont pas de possibilité d’être représentées ?
Le monde réel est celui de Val di Susa [lieu de la bataille contre la construction de la ligne à grande vitesse Turin-Lyon], de Vicenza, des usines, des précaires, c’est celui des gens qui se préoccupent des retraites, des enseignants à qui on coupe les fonds. Mais tout cela n’entre pas dans la « représentation », si ce n’est comme objet de dérision. On est en train de démonter le modèle de la démocratie représentative, un modèle qui supposait d’une certaine manière un « récit réel de l’existant ». Ou la pluralité des récits. (…)
Si on vous suit, on dirait qu’il n’existe donc pas une troisième voie pour une sorte de gauche « de lutte et de gouvernement »
Je crois que la gauche radicale doit s’interroger à fond sur le sens de son rôle institutionnel. Etre dans les institutions ou en rester dehors n’est pas un problème tactique (…). Il faut sortir de la paresse, réinventer une manière toute neuve d’être dans les territoires, de faire une nouvelle politique.
Une nouvelle politique ?
Mobiliser une constituante, créer une identité capable de résister au processus d’involution démocratique et de blindage oligarchique de l’espace politique. Mettre ensemble des sujets qui veulent vivre cette phase de manière critique : morceaux de syndicat, de cultures politiques, de mouvements, de territoires… (…)