Affaire Besancenot : ouverture d’une information judiciaire
Une information judiciaire a été ouverte, jeud 16 octobre, à la mi-journée, contre les sept personnes impliquées dans l’affaire d’espionnage visant Olivier Besancenot. Cette information judiciaire a été confiée au juge d’instruction Nicolas Aubertin. Elle vise les chefs de « violation du secret professionnel », « détournement de finalités de données », « divulgation intentionnelle de données confidentielles » et « accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données ».
Deux policiers et un douanier, qui figurent parmi les sept personnes déférées jeudi matin dans cette affaire, sont visés par ces chefs. Les quatre autres personnes, dont Antoine Di Zazzo, le directeur de SMP Technologies, la société qui diffuse le pistolet à impulsion électrique Taser en France, sont visées par les chefs de « complicité par instruction » et « recel », a-t-on précisé de même source. Le directeur du cabinet de détectives Dussaucy et une de ses collaboratrices figurent également parmi ces quatre personnes.
Le parquet a requis le placement sous contrôle judiciaire des sept personnes déférées dans cette affaire. Le maximum des peines encourues est de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, a précisé le parquet.
NOËL MAMÈRE DÉFENDRA OLIVIER BESANCENOT
Des perquisitions menées cette semaine au siège de SMP Technologies et chez Dussaucy ont permis aux enquêteurs de mettre la main sur plusieurs éléments qui semblent montrer un lien entre les deux sociétés. Le rapport d’espionnage du porte-parole de la LCR a ainsi été saisi chez SMP Technologies. Deux virements de SMP Technologies vers le cabinet Dussaucy ont également été identifiés.
Jeudi, on apprenait également que le député-maire Vert de Bègles Noël Mamère, avocat depuis mai 2008, assurerait la défense de M. Besancenot, lors de son procès devant le tribunal correctionnel de Paris, où il est poursuivi pour diffamation par Taser. M. Mamère assurera la défense de M. Besancenot au côté de Me Antoine Comte.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 16.10.08 | 11h34 • Mis à jour le 16.10.08 | 12h40.
Les médecins, l’une des cibles privilégiées de Taser France
Depuis deux mois, son témoignage circule dans les médias comme preuve que la société Taser aurait conquis une nouvelle cible. Témoignant sous le prénom d’emprunt « Michel » dans Le Journal du dimanche et sur l’antenne de RMC, ou se présentant comme « le docteur L. », installé dans « un quartier de la banlieue de Meaux » (Seine-et-Marne) dans Le Quotidien du médecin, ce praticien explique pourquoi il s’est équipé d’un Stoper C2, la version light du pistolet à impulsion électrique. « J’ai été agressé à plusieurs reprises, mais je ne voulais pas quitter le quartier et arrêter mes tournées en soirée, affirme celui qui dit travailler dans une cité sensible. J’ai maintenant un petit Taser dans ma poche et j’ai l’impression d’être mieux protégé. »
Aucun autre témoignage ne corrobore le fait que d’autres médecins se seraient équipés d’une telle arme, mais l’idée que le Taser peut être utilisé comme moyen de défense par des professionnels de santé confrontés à des problèmes de sécurité fait son chemin. Pour Antoine Di Zazzo, le directeur de Taser France, le témoignage du docteur L. est du pain bénit : « Aux Etats-Unis, les services de sécurité des hôpitaux et les services d’urgence ont des Taser, pourquoi les Français ne s’équiperaient pas de la même manière ?, s’interroge-t-il. Les médecins ont le droit de se défendre. Sinon, ils disent qu’ils déserteront les banlieues. »
Au Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), ce lobbying par médias interposés commence à agacer. « A part ce témoignage, nous n’avons aucune indication sur le fait que des médecins s’équiperaient de Taser, affirme le docteur Patrick Bouet, conseiller ordinal. Nous nous interrogeons sur la façon dont le thème de la sécurité des professionnels est pris en otage. » Le docteur Bouet explique que, contrairement aux idées reçues, la majorité des agressions des médecins n’a pas lieu lors des visites à domicile, mais à l’intérieur des cabinets. Selon l’Observatoire national pour la sécurité du CNOM, sur les 837 agressions verbales et physiques recensées en 2007, 74 % ont eu lieu en cabinet ou en établissement de soins.
Pour le CNOM, l’utilisation du Taser ne peut que renforcer la violence potentielle contre les médecins. « Nous ne sommes pas hostiles à l’utilisation d’armes de défense rapprochée, comme les gaz incapacitants ou les matraques en caoutchouc, mais une arme projetée comme le Taser va entraîner, en réponse, une augmentation de la violence de l’agresseur », fait valoir le docteur Bouet. Au-delà, l’utilisation d’une telle arme bafoue les principes éthiques de neutralité médicale : « Le médecin ne doit surtout pas être assimilé à un policier, explique Gérald Kierzek, urgentiste à l’Hôtel-Dieu, auteur d’une étude médicale sur le Taser. L’acte médical doit rester un acte humanitaire. »
Cécile Prieur
* Article paru dans le Monde, édition du 16.10.08. LE MONDE | 15.10.08 | 15h27 • Mis à jour le 15.10.08 | 16h12.
Affaire Besancenot : le patron de Taser France mis en cause
Le distributeur français de Taser, fournisseur officiel de pistolets à impulsion électrique du ministère de l’intérieur, a-t-il dérapé ? C’est à cette question que les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) et de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) se sont attelés en interpellant, mardi 14 octobre, onze personnes. Sept ont vu leur garde à vue prolongée mercredi, dont Antoine di Zazzo, le patron de Taser France. D’autres personnes devaient être convoquées et placées en garde à vue, comme ce retraité qui aurait joué un rôle d’intermédiaire.
La police a agi dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte au mois de mai par le parquet de Paris après la plainte déposée par Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, pour « atteinte à la vie privée, atteinte aux droits des personnes pouvant résulter des fichiers et traitements informatiques et violation du secret professionnel ». L’hebdomadaire l’Express venait de révéler que M. Besancenot et sa compagne avaient été espionnés pendant des semaines, et leurs comptes bancaires disséqués. Le rapport d’une officine privée, réalisé pour le compte d’un mystérieux commanditaire s’intéressait au véhicule du couple et allait jusqu’à mentionner l’école maternelle de leur fils. Les regards s’étaient tournés vers Taser France qui avait intenté un procès pour diffamation contre le porte-parole de la LCR. L’audience devait avoir lieu le 20 octobre. Antoine di Zazzo a toujours vigoureusement nié être impliqué dans cette affaire.
« CHOSES BIDONNÉES »
Joint sur son portable mardi par la BRDP, alors qu’il ne se trouvait pas à son domicile, il s’est directement rendu au siège de sa société, SMP Technologies, distributeur français du Taser, que la police avait commencé à perquisitionner. Le détective privé Gérard Dussaucy, 62 ans, ancien commissaire de la police judiciaire puis des renseignements généraux, ainsi qu’une collaboratrice, et un agent des douanes, Roland Minard, 58 ans, ont également été interpellés et placés en garde à vue. Sept policiers, de Paris, des Yvelines et de Gironde, soupçonnés d’avoir communiqué des renseignements puisés dans les fichiers, étaient de leur côté entendus dans les locaux de l’IGPN. L’un d’entre eux a été très rapidement mis hors de cause et trois remis en liberté. Restaient en garde à vue mercredi, un policier de la sécurité publique de Mantes-la-Jolie (Yvelines), un autre issu de la sous-direction des affaires économiques et financières et un troisième de Bordeaux.
Le site Internet de L’Express révèle, mercredi 15 octobre, qu’une copie du rapport de surveillance visant Olivier Besancenot et sa famille a été trouvée par les policiers au siège de la société SMP Technologies-Taser France lors de la perquisition.
Les enquêteurs qui s’étonnent de trouver « des choses bidonnées » dans le rapport sur M. Besancenot ont d’ores et déjà établi que M. Dussaucy s’est bien intéressé à sa vie privée. Ils ont trouvé la trace de plusieurs « liens » entre M. di Zazzo, sa société et le privé. A commencer par le versement bancaire d’une somme inférieure à 4 000 euros. Les deux hommes, et la collaboratrice de M. Dussaucy, se sont déjà rencontrés. De son côté la direction générale des douanes, qui a refusé de confirmer l’identité de l’agent interpellé, indique qu’elle a engagé une procédure disciplinaire et que son habilitation pour consulter le fichier Ficoba, - qui recense tous les comptes d’une personne -, lui a été retirée.
Isabelle Mandraud
* Article paru dans le Monde, édition du 16.10.08. LE MONDE | 15.10.08 | 15h27 • Mis à jour le 15.10.08 | 16h14.
Enquête : Taser : une stratégie foudroyante
Antoine Di Zazzo n’a pas ménagé sa peine pour parvenir à ce résultat : le pistolet à impulsion électrique de marque Taser équipe désormais la police, la gendarmerie et, depuis peu, la police municipale. Une ascension fulgurante si l’on se souvient que la présentation de cette arme importée de Floride a eu lieu pour la première fois au Bourget en 2003, lors du Salon Milipol consacré à la sécurité. Depuis, la stratégie de SMP Technologies, le distributeur français du Taser, et de son directeur général, Antoine Di Zazzo, repose sur deux piliers : un lobbying effréné et une activité procédurière hyperdéveloppée.
Taser France a ainsi tour à tour poursuivi devant les tribunaux les organisations des droits de l’homme Amnesty International France, Raid-H, puis le porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot, pour « dénigrement de produit » ou « diffamation ».
« SAUVER DES VIES »...
Le 11 mars, le juge des référés a débouté l’entreprise de sa plainte contre Amnesty, qui affiche toujours, sur son site Internet, le chiffre de 290 morts aux Etats-Unis depuis 2001, après que ces personnes eurent été touchées par un Taser. Dans « au moins vingt rapports d’autopsie » examinés par ses soins, l’organisation affirme que les autorités judiciaires américaines ont considéré les pistolets électriques comme la « cause directe ou aggravante des décès ». Or, sur son site Internet, Taser France ne cesse de communiquer sur le thème de l’arme « qui permet de sauver des vies »... Avec cette argument : en paralysant sa cible, le pistolet, qui envoie une forte décharge, évite au policier de recourir à son arme à feu.
Le 15 septembre, SMP Technologies réclamait 50 000 euros de dommages et intérêts au réseau Raid-H pour avoir évoqué l’image de « gégène » à propos du Taser. Le 20 octobre, ce doit être le tour de M. Besancenot de répondre, devant la même chambre correctionnelle du tribunal de Paris, aux accusations de diffamation. Entre-temps, le 6 octobre, Antoine Di Zazzo a sommé Martine Aubry, par lettre recommandée et huissier, de revenir sur ses propos. La maire de Lille avait déclaré, sur Canal+, qu’elle n’équiperait pas la police de sa ville du fameux pistolet, et repris le chiffre des 290 morts aux Etats-Unis. Joint alors par Le Monde, Antoine Di Zazzo promettait d’aller « jusqu’au bout », en fulminant : « Elle ne manque pas d’air ! C’est quand même le gouvernement Jospin qui a autorisé les policiers municipaux à être équipés de pistolets calibre 38 ! »
Changement de décor, et de ton. C’est un homme tout sourire, toujours disponible pour une démonstration, qui arpente tout ce que Paris compte comme lieux de pouvoir, des plus connus aux plus discrets. Antoine Di Zazzo a ainsi lui-même contacté The Kitson, un club issu de la presse anglo-saxonne. Fondé en 2005 par Elisa Kitson, il fonctionne en circuit fermé pour quelques initiés du CAC 40, de la presse et des diplomates. Le principe est toujours le même : confronter deux personnes, comme Marine Le Pen et Tariq Ramadan, lors d’un débat placé sous l’autorité d’un « modérateur ». Le 31 janvier 2007, la rencontre a opposé Antoine Di Zazzo à Benoît Muracciole, responsable de la campagne « Contrôler les armes » chez Amnesty France. Bruce Crumley, correspondant en Europe de Time, jouait le rôle d’arbitre. Il se souvient d’Antoine Di Zazzo passant une partie de la soirée debout à s’envoyer de petites doses d’électricité dans la main avec un Taser aménagé. Benoît Muracciole, lui, a eu le désagréable sentiment que son vis-à-vis disposait, dans l’assistance, de « soutiens » : « Il met des gens à lui dans le débat, affirme-t-il, pour qu’ils argumentent dans le même sens. »
C’est par un autre club, Wine & Business, créé par Alain Marty en 1991, qu’Antoine Di Zazzo a approché le criminologue Alain Bauer. Dans ce club huppé, où l’on entre uniquement par parrainage, moyennant une cotisation annuelle plancher de 4 900 euros, la présence du distributeur de Taser en France comme invité - il n’est pas adhérent - remonte à juillet 2007.
STARS DU SHOW-BIZ
Alain Bauer se défend d’être devenu un ambassadeur de Taser. Mais il reconnaît volontiers qu’il a suggéré au Haut Comité français pour la défense civile (HCFDC) d’organiser, en avril, un débat au Sénat sur ce type d’arme. Un débat que le délégué général du HCFDC, Christian Sommade, qualifie de « moyen » et qui a vite tourné à l’avantage de Taser, faute de concurrents. Parmi les intervenants figurait Jo Masanet, ancien secrétaire général de l’UNSA-Police, premier syndicat des gardiens de la paix. Antoine Di Zazzo est allé le voir très tôt, il y a six ans, dans son bureau, avec une brochure sous le bras. Depuis, le syndicat apporte son indéfectible concours au Taser, comme en témoignent les six pages qu’il consacre à cette « arme du troisième millénaire » dans son magazine de septembre.
Antoine Di Zazzo n’hésite pas non plus à fréquenter des stars du show-biz ou des personnalités politiques. Il pose en photo avec le député UMP Thierry Mariani dans un récent numéro du magazine pour hommes Balthazar ; ou bien s’affiche, dans un grand hôtel parisien, aux côtés de Caroline Barclay, la veuve d’Eddie Barclay, pour la soirée de lancement du Stoper C2, le 29 mars 2007. Avec ce « Taser light », selon sa propre expression, qui ne nécessite pas une autorisation de port d’arme, le distributeur français vise de nouvelles cibles : médecins, vétérinaires, agents de sécurité. Et, bien sûr, les femmes, « pour se défendre ».
Lundi 13 octobre, sur le plateau de Planète Justice, une chaîne du câble, Antoine Di Zazzo assurait, avec l’aplomb du commercial rodé, que « cinq épouses de chefs d’Etat » en étaient déjà dotées.
Isabelle Mandraud
* Article paru dans le Monde, édition du 16.10.08. LE MONDE | 15.10.08 | 15h27 • Mis à jour le 15.10.08 | 20h43.