François Bozizé sera parti du pouvoir comme il y était venu, par un coup d’État. Ancien responsable de l’état-major des Forces armées centrafricaines (Faca), il fut limogé, le 26 octobre 2001, par Ange Félix Patassé qu’il déposera en mars 2003. Patassé avait appelé à l’aide les milices de la République démocratique du Congo, de Jean-Pierre Bemba, pour tenter de conserver son pouvoir. Le comportement de ses milices vaut à Jean-Pierre Bemba de répondre de crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale.
Une fois installé au pouvoir, Bozizé va progressivement recentrer son autorité autour de son clan familial en rejetant ses anciens compagnons d’armes. Il sabotera toutes les initiatives de règlement pacifique issues de multiples crises armées qui se sont déroulées dans le pays. Ainsi les mesures du « dialogue politique inclusif », qui auraient permis à la Centrafrique une gestion apaisée des conflits, ne furent pas appliquées.
Dans le même temps, le clan familial pille le pays. La femme de Bozizé à travers son ONG (fondation Femme, Enfant, Solidarité) importe les denrées alimentaires, en bénéficiant des exemptions de droits de douanes et taxes diverses, pour les vendre aussitôt sur le marché. [1]
Pour maintenir son pouvoir, le clan Bozizé n’a pas hésité à envoyer les Faca qui sont la principale source de violation des droits humains dans ce pays : exécutions sommaires, emprisonnements arbitraires et torture généralisée dans les prisons et les centres de détention étaient monnaie courante. Le Tribunal Pénal International (TPI) est, d’ailleurs, en train d’instruire une plainte contre lui pour crime contre l’humanité.
Peu ou mal payée, l’armée est incapable de mener une bataille
La Centrafrique reste un pays où la faiblesse de l’État permet à une multitude de groupes armés de prospérer. Parfois ce pays devient une base de repli pour les rebellions des pays voisins.
Ce qui est notable c’est que la principale source de violation des droits humains reste l’armée [2]. En effet, plusieurs organisations de défense des droits humains ont dénoncé leurs crimes : pillages et destruction des villages, exécutions sommaires, parfois sous les yeux des soldats français.
Dans les Faca, coexistent les hommes de la garde présidentielle, qui représentent un millier d’hommes (il s’agit plus d’une garde prétorienne dédiée à la défense du clan Bozizé) et le reste de l’armée sous-équipé. Bozizé n’a jamais eu confiance en la loyauté de l’armée composée majoritairement de yakoma.
Peu et parfois pas payée – le retard des soldes peut atteindre plus de deux ans, l’armée est devenue, au fil du temps, incapable de mener une bataille contre un quelconque groupe armé.
En outre, des groupes politico-militaires existent, principalement dans le Nord. Le principal est l’UFDR qui rassemble plus d’un millier d’hommes et qui, progressivement, est devenu la milice de l’ethnie gula.
D’autres milices existent, notamment celles qui protègent les éleveurs (le plus souvent des Tchadiens) qui font paître leurs troupeaux en Centrafrique. Cette transhumance est souvent mal acceptée par les agriculteurs qui voient leurs récoltes endommagées et les points d’eau asséchés, d’où l’occasion de conflits violents. Parfois même l’armée tchadienne vient porter main forte à ces milices car, dans la hiérarchie militaire tchadienne, certains ont des intérêts économiques dans l’élevage.
Mentionnons aussi les coupeurs de routes, appelés localement les zaraguinas, souvent d’anciens soldats ou d’anciens miliciens qui ont déserté. Ils sont violents et détroussent les voyageurs, et n’hésitent pas également à faire des otages pour en obtenir des rançons.
Les braconniers, s’ils représentent un véritable danger pour la faune, ne sont pas une source d’insécurité importante pour les villageois, sauf qu’ils participent à la raréfaction de la viande de brousse qui est la principale source de protéines des habitants du Nord. La plupart de ces braconniers sont soudanais et, eux aussi, sont lourdement armés pour répondre aux tentatives d’attaques des gardes forestiers.
Les milices d’autodéfense villageoises mises en place, parfois avec la bénédiction du gouvernement, sont mal armées et ne sont pas une source d’insécurité importante, comme le sont les mai-maï en RDC. Les troupes de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) enfin et la Mission de consolidation de la paix en République Centrafricaine (Micopax) souvent confondues avec les troupes tchadiennes du fait de leur présence en nombre important à chaque crise, elles sont peu appréciées de la population qui y voient des supplétifs de Bozizé.
Sur le terrain, une situation extrêmement critique
Fin 2012, une coalition de cinq organisations s’est constituée pour former la Seleka qui, en langue sango, signifie « alliance ». Au départ cette organisation, pour le moins hétéroclite, a rassemblé les partisans de Patassé, ceux qui l’ont chassé (mais non récompensés ou pas assez par le régime Bozizé), plus des anciens du régime déçus par sa politique.
La revendication de la Seleka était liée au respect des accords de paix de 2007. Peu à peu son programme politique s’est étoffé en empruntant les principales revendications de l’opposition civile au gouvernement Bozizé : « Nous souhaitons simplement que le président Bozizé respecte les accords signés à Libreville en 2007. Il y avait deux points essentiels : le désarmement et l’insertion dans l’armée centrafricaine de tous les anciens belligérants. Nous souhaitons maintenant insérer dans cette négociation de nouveaux éléments, comme l’instauration de la démocratie, le respect des droits de l’homme ainsi que le respect de notre Constitution. Le président Bozizé a l’intention de modifier la constitution afin de pouvoir se représenter en 2016. » [3]
Dès les premières offensives de la Seleka, il est rapidement apparu que l’armée, sous-équipée et démotivée, s’enfuyait. Un premier cessez-le-feu, assorti d’une conférence tenue à Libreville et imposée par les Tchadiens, prévoyait des mesures comme le partage du pouvoir, la non-représentation pour un troisième mandat de Bozizé, la libération des prisonniers politiques. Quasiment aucune de ces mesures n’a été appliquée et, fidèle à lui-même, aussitôt le document signé, Bozizé tentait de revenir dans les faits sur sa parole. Ce fut sa perte. Déjà lâché par la France, puis par les États riverains, notamment le Tchad, Bozizé ne pouvait même plus compter sur un détachement de l’armée sud-africaine qui, lors de sa première offensive avait eu à subir de lourdes pertes, le bilan officiel s’établissant à 13 morts, certaines sources parlent même d’une cinquantaine de décès [4].
La présence militaire sud-africaine reste un mystère à bien des égards. L’Afrique du Sud ne faisant pas partie de la Cemac, elle est intervenue sans prévenir les pays riverains. Officiellement, le gouvernement de Pretoria parle d’honorer un accord militaire signé en 2007. La volonté de jouer un rôle majeur dans le continent peut expliquer cette intervention, au demeurant très mal préparée. Une autre explication, plus triviale, insiste sur les accords commerciaux passés par Bozizé et certaines grandes entreprises minières. Une seconde offensive de la Seleka a eu lieu le 24 mars 2013 et elle s’est emparée du pouvoir. A son habitude, la Cemac, l’UA et plus globalement la communauté internationale ont condamné ce coup de force, mais ils se sont bien gardés d’exiger le retour de Bozizé pour seulement demander que le temps de la transition soit raccourci (de trois ans il passe à un an et demi) ; que les dirigeants ne puissent pas se présenter aux élections présidentielles et que le gouvernement soit plus inclusif.
Sur le terrain, la situation est extrêmement critique [5]. Certains considèrent que c’est la pire crise qu’a connu, sinon la Centrafrique, au moins sa capitale, Bangui, depuis son indépendance en 1960.
Les pillages et les exactions sont quotidiens et, depuis plusieurs mois que la Seleka a pris le pouvoir, les choses ont du mal à redevenir normales. Ses miliciens ne sont pas payés et les caisses de l’État sont vides, aussi ces bandes armées rackettent désormais les populations ou font payer leurs services pour sécuriser une maison ou une boutique.
De plus, il y a un danger de voir apparaître des conflits ethniques [6] car, avant son départ, Bozizé et les militants de son parti, le Kwa Na Kwa (KNK : « le travail rien que le travail ») avaient fait distribuer des armes blanches à de jeunes désœuvrés pour défendre la capitale, et surtout leur communauté, contre les miliciens de la Seleka qui sont quasiment tous de confession musulmane. Ainsi les quartiers qui ont été épargnés par les pillages et les violences sont précisément les quartiers musulmans de la capitale.
Une fois de plus les dirigeants africains, et autres seigneurs de guerre, jouent et exacerbent les conflits religieux ou ethniques.
C’est bien le Quai d’Orsay qui dirige ce pays
Les dictatures en Centrafrique ont toujours été soutenues par la France jusqu’à ce que ces derniers se retrouvent totalement isolés, comme ce fut le cas pour Bokassa, Patassé et maintenant Bozizé. En effet, une base française existe à Bouar et Bangui depuis l’indépendance. Les soldats français encadraient les membres de la Faca, malgré les exactions commises contre les civils et bien que le règne de ces dictateurs se traduisît par des décennies de pillages des richesses, d’arbitraire, de tortures et d’exécutions sommaires pour la population.
Ces abandons successifs ne doivent pas occulter le fait que c’est bien le Quai d’Orsay qui dirige ce pays, notamment par des avances de trésorerie pour les soldes des fonctionnaires, par l’encadrement de la police et de l’armée qui se rend ainsi complice de ces despotes.
En 2007, les soldats français se sont battus aux cotés de l’armée centrafricaine contre les rebelles et l’aviation française a procédé à des bombardements sur Birao, la ville principale du Nord du pays.
La Centrafrique, malgré sa pauvreté, reste un élément important pour la France. En effet, ce pays est souvent comparé à une sorte de porte-avion terrestre pour l’armée française en Afrique. Ce sont justement ces pré-positionnements qui ont permis le déploiement rapide des troupes pour l’intervention militaire au Mali.
La solution en Centrafrique ne passera pas par les différents pouvoirs des milices qui, une fois au pouvoir, se déchirent et mettent le pays en pièce. L’alternative revient à ces militants de la société civile qui tentent, avec les moyens du bord, de soulager les souffrances de la population. Une politique au minimum progressiste mettrait au premier plan des structures pour reconstruire un État capable de produire le service minimum en termes social, sanitaire et sécuritaire.
Paul Martial, 11 août 2013