Dimanche 3 septembre, Ségolène Royal a déclaré que « l’idéal » serait de « supprimer la carte scolaire » ou, tout au moins, de « desserrer ses contraintes », afin de « mettre en place une forme de choix entre deux ou trois établissements, à condition que les établissements les plus délaissés soient renforcés avec des activités culturelles de haut niveau ». Elle rejoint ainsi Nicolas Sarkozy, qui souhaite supprimer la carte scolaire pour créer de l’émulation entre les établissements, et le ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, qui trouve que la carte scolaire « a un petit côté privatif de liberté ».
Les arguments des partisans de la suppression de la carte scolaire sont assez étranges. La palme de l’argument le plus invraisemblable revient au docteur en économie Éric Maurin : « Pour faire revenir les classes moyennes, il faut désamorcer leur crainte de ne pouvoir scolariser leurs enfants ailleurs. » [] Un peu comme lorsque l’on nous explique que, plus on accroîtra la liberté de licencier des patrons, moins ils le feront.
Pour Ségolène Royal, « il faut faire cesser l’hypocrisie, il n’y a plus de mixité sociale ». La grande réforme qu’il faut avoir le « courage » de proposer consisterait donc à entériner un état de fait. Dans ce cas, il n’est pas question « d’ordre juste », ni d’user de fermeté envers les parents qui ne respectent pas la logique républicaine. La contrainte ne vaut que pour les parents des classes populaires. Il n’est pas non plus envisagé, comme le proposent syndicats enseignants et associations de parents d’élève de réformer la carte scolaire pour assurer réellement la mixité sociale. Difficile alors de ne pas penser, avec la FCPE, qu’il ne s’agit là que d’une « manœuvre électorale pour faire plaisir aux parents qui dérogent ».
Moyens supplémentaires
Par ailleurs, il faut regarder les chiffres avec sérieux : une étude menée en 2001 montrait que, trois ans après leur entrée dans le secondaire, 10 % des enfants fréquentaient un établissement public en dehors de leur secteur, 20 % des élèves étant inscrits dans le secteur privé. C’est devant cette réalité que Christian Forestier, membre du Haut conseil de l’Éducation, et bien loin d’être un révolutionnaire patenté, s’interrogeait : « Pour régler le problème de Clichy-sous-bois, faut-il permettre à la bourgeoisie des centres-villes d’accentuer ses privilèges ? » [2]
Dernier argument des tenants de l’abolition de la carte scolaire : seuls les ménages les plus favorisés ont les informations et les moyens permettant le détournement de la carte scolaire, les classes populaires se voyant contraintes d’inscrire leurs enfants dans les établissements du secteur. Supprimer la carte scolaire serait donc une mesure de justice sociale... Pourtant, on pourrait en proposer une autre. Sachant que les élèves scolarisés dans le secteur privé sont majoritairement des enfants de chefs d’entreprise (près de 50 % des chefs d’entreprise scolarisent leur enfant dans le privé), de cadres et d’agriculteurs, on pourrait supprimer tout fonds public aux établissements privés, ce qui permettrait d’augmenter les moyens des établissements publics, notamment dans les quartiers populaires.
Si la question scolaire est présentée comme l’un des enjeux de 2007, les discours sur l’éducation manquent singulièrement de cohérence. Il y a quelques mois, les « élites » nous expliquaient qu’il fallait renoncer au collège unique parce que « l’hétérogénéité des classes » était ingérable. Certains enseignants se disaient bien alors que leur problème, c’était plutôt l’homogénéité de classes ne regroupant que des élèves en difficulté sociale et scolaire. Aujourd’hui, la « mixité sociale » est l’objectif affiché mais, dans le même temps, on veut détruire le seul outil qui pourrait permettre de la maintenir en partie. De fait, depuis la rentrée, les élèves originaires des collèges « ambition réussite » ayant obtenu une mention bien ou très bien au brevet des collèges pourront choisir leur lycée, ce qui remet déjà en cause le principe de la sectorisation et qui risque de vider les lycées des quartiers populaires de leurs bons élèves.
Alors que faire ? D’abord, faire un constat sérieux de la situation. En classe, les apprentissages sont aussi collectifs, par des interactions entre élèves. Il vaut donc mieux mélanger, dans les classes, des élèves de niveaux scolaires différents. Toutes choses étant égales par ailleurs, un élève en difficulté d’apprentissage, stimulé par les questions et les remarques de ses camarades, aura plus de chances de progresser dans une « bonne classe ». Inversement, ne concentrer que des élèves en difficulté dans une classe aboutit le plus souvent à l’échec, en tout cas dans le domaine des apprentissages. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il faut refuser que persiste ce type de classes dans le système scolaire, y compris avec des moyens supplémentaires - ce qui n’est même pas le cas aujourd’hui.
Misère sociale
En l’état actuel du système, les difficultés scolaires correspondent assez souvent aux difficultés sociales. D’où l’enjeu de la carte scolaire, censée assurer un minimum de mixité sociale - et donc scolaire - dans les établissements. C’est ici que la question scolaire rejoint la question urbaine. Le problème, c’est que la notion de mixité sociale est aujourd’hui polluée par le ministre de l’Emploi, Jean-Louis Borloo, qui l’utilise pour justifier la démolition de logements dans certains quartiers populaires et le moindre accès des plus défavorisés aux logements sociaux. À titre transitoire, on pourrait envisager la constitution de commissions locales de la carte scolaire, réunissant enseignants et parents d’élève, commissions chargées de définir une sectorisation équilibrée mais qui s’imposerait alors sans possibilité de dérogation. Ce qui implique une autre gestion des options dans les établissements. On pourrait décider que toutes les options qui servent à attirer les bons élèves ne seraient proposées que dans les établissements des quartiers populaires. Il s’agirait alors de faire cesser la concurrence entre établissements. Tout ceci ne servirait à rien si, à l’intérieur des établissements, se constituent des classes de niveau, pratique qui devrait être interdite par les inspections d’académie. Les parents qui, dans ce contexte, souhaiteraient fuir vers le secteur privé devraient en assumer le coût, selon le principe énoncé plus haut.
Il ne faut pas être dupe : les problèmes du système scolaire ne se résument pas au problème de la carte scolaire. Toutefois, il ne faut pas nier que la concentration des difficultés dans certains établissements est inacceptable, même si le problème réside plus dans la misère que dans la mixité sociale. Il est aussi proprement ahurissant que le débat se concentre sur la carte scolaire au moment de la mise en œuvre de la « réforme » des ZEP, c’est-à-dire au moment où l’on supprime des moyens aux établissements des quartiers populaires.
Notes
1. L’Express, le 6 juin 2005.
2. Libération, le 6 septembre 2006.