Plusieurs milliers de manifestants ont défilé à Paris pour « un procès pénal de l’amiante »
LEMONDE.FR avec AFP | 30.09.06 | 17h34 • Mis à jour le 30.09.06 | 17h36
En tête du cortège, il y avait celles que l’on appelle les « veuves de Dunkerque ». Après le décès de leurs époux, victimes de l’amiante, elles avaient réclamé en vain un procès pénal et, de décembre 2004 à janvier 2006, elles ont manifesté chaque mois devant le tribunal de Dunkerque. Chacune d’elles portait le portrait de son mari.
Derrière, ils étaient plusieurs milliers de personnes – 3 100 selon la police, 6 à 7 000 selon les organisateurs – à avoir fait le déplacement, samedi 30 septembre à Paris, pour réclamer un grand « procès pénal de l’amiante » et une meilleure indemnisation des victimes.
Venus de toute la France à l’appel de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva), ils ont défilé de la tour Montparnasse, choisie symboliquement « parce qu’elle contient de l’amiante un peu partout », à la place de Fontenoy, à proximité du ministère de la santé. Un peu plus tard, ils ont lâché, lors d’une minute de silence, des ballons blancs symbolisant les ouvriers décédés après avoir travaillé au contact de l’amiante.
« L’amiante abrège nos vies », « les empoisonneurs doivent êtr »un procès e jugés« , »les préretraites : un droit pas un privilège", proclamaient les petites pancartes rouges et blanches de l’Andeva portées par de nombreux manifestants, aux côtés de militants CGT, CFDT et CFTC. L’amiante a été utilisé massivement dans l’industrie pendant des décennies avant son interdiction en 1996, et n’a totalement disparu que depuis 2002 de la fabrication de tout produit industriel en France. Il provoque 3 000 décès par an et pourrait faire 100 000 morts d’ici 2025, selon les prévisions les plus pessimistes de santé publique.
« DAVANTAGE DE PRÉVENTION »
L’Andeva réclame « un procès pénal, pédagogique, pour que toutes les défaillances soient mises à plat et qu’on reconstruise un système de veille sanitaire performant au travail, afin que tous ces gens ne soient pas morts pour rien », selon l’avocat de l’association, Me Michel Ledoux. « Un procès civil, c’est pour des indemnisations individuelles, un procès pénal permet de rechercher les causes. Aujourd’hui c’est l’amiante, demain ce sera les pesticides, les fibres céramiques, les produits sanitaires », a-t-il ajouté.
Beaucoup de salariés et d’anciens salariés d’entreprises ayant traité de l’amiante participaient à la manifestation. Raymond, 64 ans, travaillait chez Sollac, près de Dunkerque, à l’entretien des fours à coke. « J’ai 25 % des copains à la cokerie qui sont morts de cancer. On utilisait des tonnes d’amiante dans les fours : on avait des gants mais pas de masques, la médecine du travail nous a trahis. » Lui même a une tache au poumon, mais « les médecins [lui] disent que c’est une tache de graisse. » Deux retraités de la maintenance pour les ascenseurs Schindler, longtemps exposés à l’amiante dans les faux plafonds et les combles, expliquaient de leur côté être venus « pour réclamer davantage de prévention ».
A l’issue de la manifestation, une délégation devait être reçue par un membre du cabinet du ministre délégué à la Sécurité sociale, Philippe Bas.
Les victimes de l’amiante manifestent pour demander le procès pénal de l’amiante
LEMONDE.FR | 30.09.06 | 11h14 • Mis à jour le 30.09.06 | 11h14
L’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva) organise une manifestation, samedi 30 septembre, à Paris pour réclamer un grand « procès pénal de l’amiante », à l’instar de l’affaire du sang contaminé, et « une amélioration des barèmes » d’indemnisation des victimes.
« Avec 3 000 morts par an et 100 000 décès à venir à cause de cancers du poumon ou de la plèvre, la plus grande catastrophe sanitaire que la France ait connu n’a toujours aucun responsable, aucun coupable », souligne François Desriaux, président de l’Andeva, une association qui revendique 15 000 adhérents.« En ce 10e anniversaire du premier dépôt de plainte de l’Andeva, les victimes de l’amiante vont manifester pour rappeler à l’opinion publique et au pouvoir politique qu’elles attendent toujours un procès pénal » de l’amiante, souligne-t-il.
Le défilé, qui devrait réunir environ 5 000 personnes selon les organisateurs, s’élancera de la rue du Départ (XVe arrondissement) en direction de la place de Fontenoy (VIIe).« L’itinéraire de la manifestation a une portée symbolique : la Tour Montparnasse renferme de l’amiante un peu partout, et la place de Fontenoy abritait auparavant le ministère du travail et se situe à proximité du ministère de la santé », a expliqué M. Desriaux. La CGT, la CFDT et le Comité anti-amiante Jussieu ont indiqué qu’ils participeraient à la manifestation.
Plusieurs dizaines d’enquêtes judiciaires sont en cours, regroupés dans les tribunaux de Marseille et Paris, mais les responsabilités sont difficiles à établir. L’Andeva réclame « une révision de la Loi Fauchon » sur les délits non-intentionnels, votée en juillet 2000 et dont l’objectif était, selon elle, « d’amnistier les responsables dans les affaires mettant en jeu la santé et la sécurité des citoyens ». « Les progrès notables réalisés au cours de cette année 2006 », comme le fait que « le parquet (ait) pris l’initative de poursuites », que « les instructions progressent » ou encore qu’Alstom ait été condamné à « de lourdes peines », ne doivent pas « entraîner de relâchement de la part de qui que ce soit, en particulier du pouvoir politique », met en garde M. Desriaux.
« A quelques mois d’échéances électorales importantes, il semble en effet que les pouvoirs publics fassent l’objet de pressions de plus en plus importantes de la part des entreprises, sur l’air »les victimes de l’amiante coûtent trop cher« », déplore M. Desriaux. L’Andeva revendique également une « amélioration du barème du Fiva » (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante) et une « cessation anticipée d’activité plus équitable ».
Un Fonds pour la cessation d’activité anticipée des travailleurs de l’amiante (FCAATA) existe depuis sept ans. Il est abondé par une branche de la Sécurité sociale, elle-même financée par les cotisations patronales, et selon l’Andeva, l’Etat fait l’objet « de demandes insistantes » contre ce fonds. Le ministère de l’emploi a cependant annoncé vendredi que le FCAATA serait étoffé de 14 % supplémentaires l’an prochain, à 800 millions d’euros.
La situation de la Tour Montparnasse « montre à elle seule tous les obstacles auxquels sont confrontées les victimes », relève le vice-président de l’Andeva, Michel Parigot. « Il y a uniquement des petits chantiers locaux sous la responsabilité des plus de 200 co-propriétaires de la Tour, en dehors de tout contrôle des pouvoirs publics, les opérations de repérage de l’amiante sont confiées à des sociétés privées qui livrent des diagnostics contradictoires », note M. Parigot. Il critique « l’absence de transparence de la situation alors que la Tour reçoit près de 600 000 touristes par an et que 5 000 personnes y travaillent ».
Premiers succès judiciaires pour les victimes de l’amiante
Cécile Prieur
Article paru dans l’édition du Monde du 30.09.06
LE MONDE | 29.09.06 | 14h40 • Mis à jour le 29.09.06 | 14h40.
Leur combat n’aura pas été vain. Alors qu’elles doivent se rassembler à l’occasion d’une manifestation nationale, samedi 30 septembre à Paris, pour réclamer l’ouverture d’un procès pénal, les victimes de l’amiante obtiennent leurs premiers succès sur le terrain judiciaire.
Mardi 19 septembre, la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy a mis en examen trois anciens directeurs de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau, (Calvados), pour « homicides et blessures involontaires » et « non-assistance à personne en danger ». Dix ans après les premiers dépôts de plainte, la justice commence à démêler l’écheveau des responsabilités industrielles et administratives dans le drame de l’amiante : non sans difficultés, tant ce dossier de santé publique, par son gigantisme et sa complexité, défie la logique pénale ordinaire.
Avec 71 procédures venant de toute la France (35 à l’instruction, 23 en enquête préliminaire et 13 en attente d’examen par le parquet), l’amiante est, de loin, le dossier le plus important du pôle de santé publique du tribunal de Paris. Cette affaire mobilise trois magistrats instructeurs, assistés d’une dizaine de gendarmes, réunis à plein temps au sein d’une « cellule amiante ». Ces enquêteurs ont conduit des perquisitions dans des sites industriels du Nord, de Normandie, d’Aquitaine ou du Sud-Ouest : certains des documents saisis n’ont pas pu être transportés, car totalement amiantés. Les magistrats instruisent séparément chacun des dossiers locaux, qui concernent des entreprises qui transformaient l’amiante (Eternit, Amisol) ou l’utilisaient en grande quantité pour ses propriétés incombustibles (les chantiers navals, Saint-Gobain, EDF...).
A l’instar des premières mises en examen prononcées dans le dossier de Condé-sur-Noireau, ils devraient poursuivre tous les responsables d’usine qui se sont succédé jusqu’à l’interdiction de la fibre, en 1997.
Dans un second temps, les responsables locaux de la veille sanitaire - médecins du travail, inspecteurs du travail et dirigeants des caisses primaires d’assurance-maladie - pourraient être incriminés.
Les enquêteurs appliquent la même logique d’enquête pour leurs investigations au niveau national. Dans le cadre du dossier de l’université de Jussieu, ils ont saisi plusieurs milliers de documents aux Archives nationales. De leur analyse pourrait découler la mise en cause des industriels de l’ancien Comité permanent amiante (CPA), ce lobby, dissous en 1995, qui s’était employé à retarder au maximum l’interdiction de la fibre. A terme, les responsables sanitaires et administratifs des années 1980-1990, dont certains membres du ministère du travail siégeant au CPA, pourraient aussi être visés.
Les investigations se heurtent toutefois à d’importants obstacles juridiques. Les faits incriminés étant pour la plupart antérieurs aux années 1990, la possibilité de poursuivre les personnes morales (l’entreprise en tant que telle, et non ses dirigeants physiques), introduite par la réforme du code pénal de 1994, ne peut s’appliquer en l’espèce. L’infraction de « mise en danger délibérée d’autrui », créée par la même réforme, ne peut également être utilisée que pour des faits postérieurs. C’est d’ailleurs sur cette base juridique que le tribunal de Lille a condamné la société Alstom, le 4 septembre, à 75 000 euros d’amende et 1,5 million d’euros de dommages et intérêts pour avoir exposé ses salariés à l’amiante, entre 1998 et 2001, en dépit de son interdiction.
Pour les faits plus anciens, la justice n’a d’autre recours que d’utiliser les qualifications d’homicides et blessures involontaires, qui imposent d’établir un lien de causalité certain entre une faute et un dommage. Or les pathologies de l’amiante, comme le mésothéliome (cancer de la plèvre), ne se déclarent que vingt à trente ans après l’exposition à la fibre, rendant impossible l’établissement d’une date précise de contamination.
Pour que les mises en examen soient validées, la justice devra donc admettre que la maladie d’un plaignant est imputable à la totalité de sa période d’exposition professionnelle et partant, à tous les directeurs d’usine qui se sont succédé pendant cette période.
Si elle était admise par la Cour de cassation, cette conception plus lâche du lien de causalité pourrait ouvrir une brèche dans le droit pénal, et provoquer une multiplication des poursuites dans les affaires de pollution environnementale. Cette pénalisation accrue n’est pas pour déplaire aux avocats des victimes : « L’affaire de l’amiante est le fer de lance de l’évolution juridique en matière de santé publique, estime ainsi Me Michel Ledoux. Nous avons bon espoir qu’elle conduise la justice à se doter d’une véritable doctrine en matière de contamination environnementale, pour que les dossiers puissent enfin aboutir. »