Sommes-nous raisonnables de garder ce cap de la défense des emplois alors que tout semble perdu pour la plupart ? Certains nous disent que nous faisons fausse route. Que si nous n’arrivons pas à entraîner les collègues dans la bataille, c’est que nous faisons erreur. Peut-être. Sauf que personne dans l’usine ne défend une autre orientation.
Une minorité combattive qui donne le ton
Les autres syndicats, jusqu’à celui des cadres, sont anéantis et sans ressort. Ils ne proposent rien, ils subissent les évènements et, du coup, ils ont tendance à nous suivre, de loin c’est vrai, mais ils suivent, résignés.
Alors c’est vrai, aujourd’hui nous ne sommes qu’une poignée à mener la lutte. Une équipe syndicale et un noyau de collègues. Au point de douter parfois.
Le fait est que dans l’usine, la majorité ne trouve malheureusement pas la force de batailler, que ce soit pour empêcher la fermeture mais aussi, par exemple, pour que les préretraites soient les meilleures possibles, sans perte de salaire. Pourtant cela concerne environ le tiers du personnel. Et puis même, alors que tout le monde se rend compte de la faiblesse des « primes » de départ, il n’y a pas l’énergie pour exiger des conditions décentes ou au moins meilleures.
Entre résignation et colère
Il y a comme un sentiment d’impuissance qui paralyse, qui se traduit par une incapacité à se confronter à une direction pourtant si méprisante. Mais la violence de la situation est plus forte. Elle écrase, elle étouffe, elle entrave et empêche l’expression de la solidarité comme de la colère.
Cela dit, l’écœurement est bien là, avec la conscience de se faire avoir. Cela se traduit par une forme de résistance que Ford n’arrive pas à contrecarrer. Sur la ligne d’assemblage d’abord, puis dans d’autres secteurs, peu à peu, les objectifs de production, pourtant très faibles, ne sont plus atteints. Il est arrivé pendant plusieurs jours qu’il y ait zéro pièce et zéro transmission produite.
Une direction qui ne maitrise pas tout
Ça énerve les chefs et la direction, pour qui ce refus de travailler est un affront. Comment est-ce possible, des ouvrierEs décideraient de ce qu’il faudrait produire ? Mais à quoi servirait la hiérarchie alors ? Faire travailler en ce moment ne traduit pas, pour Ford, un besoin de fabriquer, mais un souci d’imposer la discipline, d’occuper les salariéEs, parce que le temps qu’on passe à travailler, on ne le passe pas à réfléchir et à nous organiser.
La direction ne supporte pas que l’on ne travaille pas. Donc elle réorganise la production, proposant de produire sur 4 jours et, si l’objectif de production est atteint, alors nous aurions le vendredi à la maison, payés comme si nous travaillions. Il s’agit donc de nous remettre au travail, quitte à nous diviser, à semer la zizanie entre ceux qui voudront leur « vendredi » et ceux qui continueront à résister en travaillant le moins possible.
Ford n’a qu’un seul souci : maintenir le calme dans l’usine le temps que la procédure PSE arrive à son terme. La fin étant fixée au 18 décembre. Après c’est sûr, Ford voudra plier l’affaire le plus vite possible.
Nouvelle manifestation à Bordeaux
Il nous reste 50 jours pour bousculer tout ça. Pour empêcher Ford d’aller au bout de sa stratégie. Le compte à rebours est lancé. Pas de quoi se décourager car, même à pas nombreux, mais sur un fond de ras-le-bol des collègues, notre résistance parvient à déstabiliser Ford et à pousser les pouvoirs publics à agir au moins un peu. Les postures des uns et des autres évoluent, ce qui était impossible devient une hypothèse. La reprise de l’usine est aujourd’hui en discussion. D’accord, les pièges, les coups tordus et les mauvaises intentions nous attendent au tournant. Nous n’avons d’illusions à avoir sur personne, mais nous aurions tort de ne rien espérer. En tout cas, on s’accroche et notre manifestation du 25 octobre à Bordeaux est une initiative de plus pour changer la donne.
Philippe Poutou