La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) a édité, en septembre, une affiche défendant le droit des mères voilées d’accompagner les sorties scolaires. Alors que la polémique prend de l’ampleur, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, finit par employer un adjectif fatal à propos de cette affiche : « regrettable ».
Mais voilà, la laïcité n’a pas à être ouverte ou fermée, stricte ou molle. La laïcité est un accord qui doit être recréé à chaque génération, pour permettre à des gens ayant différents impératifs laïques ou religieux de partager un espace commun. Il y a un siècle, certaines communes avaient interdit aux curés de porter la soutane, d’autres faisaient fermer les écoles publiques le jour de la procession du saint qui protégeait l’église, les écoles et collèges permettaient de manquer l’école pour les jours de retraite de communion, sans compter l’Alsace-Moselle, qui conserve encore aujourd’hui un statut différent du reste de l’Hexagone, et les Comores ou la Guyane, dans lesquelles les valeurs de la République ont été si largement adaptées à la réalité locale qu’on y a négligé de construire suffisamment d’écoles pour scolariser tous les enfants…
Quoi qu’on puisse penser du fait de porter un voile sur les cheveux, la laïcité a défini, en 2004, des règles qui s’imposent aux fonctionnaires et aux élèves, mais ne s’appliquent pas aux parents, qu’ils soient délégués des parents ou accompagnateurs des sorties. Il a fallu plusieurs actions judiciaires pour que le Conseil d’Etat acte ce fait.
Néanmoins, cette question resurgit encore, surtout dans les périodes électorales. Chaque parti se demande s’il fera du « chiffre » en créant du malaise islamophobe alors que le simple bon sens permet de voir que le XXe siècle est terminé et qu’une communauté importante de musulmans partage le territoire français. Certains sont étrangers, mais la majorité est de nationalité française, et souvent née de parents français et envoie dans les écoles des enfants français nés en France de parents français eux-mêmes nés en France.
Rancœur ordinaire
Il reste des gens pour le regretter, sans aucun doute. Mais les incroyants, les juifs, les catholiques, les athées, les protestants, les bouddhistes, les musulmans et toutes les autres minorités qui vivent en France sont dans l’obligation de vivre ensemble et de s’accorder sur les règles d’usage de l’alimentation, de la construction des lieux de prière, de l’habillement, des pratiques des fêtes et de l’organisation de l’école, car un des rôles de l’école publique est justement de permettre aux enfants de toutes origines, de toutes confessions de se rencontrer et aux parents de se fréquenter.
Lorsque le ministre décide que c’est « regrettable », que regrette-t-il ? Le bon temps des ouvriers des foyers Sonacotra qui laissaient leurs familles dans les pays d’origine pour trimer ici, loin d’elles ?
La FCPE s’est battue pour que tous les parents puissent accompagner les sorties, habillés tels qu’ils sont, et ils ont eu gain de cause. Les musulmans ont droit au même respect que les autres parents. Et pourtant, en sous-main, il reste des gens dans l’éducation nationale pour affirmer aux directeurs d’école que « c’est eux qui choisissent et que s’ils veulent éliminer les parents portant des signes religieux, il leur suffit de privilégier les autres ». Donc la FCPE a raison de faire campagne à ce sujet, car il reste des écoles où le respect n’est pas de mise.
Rien n’est plus important que le respect pour construire la laïcité. Lorsqu’un groupe se sent humilié, la rancœur ordinaire devient le terreau de toutes les agressivités.
Alors, bien sûr, toutes les femmes musulmanes ne portent pas le voile. Un bon nombre d’entre elles travaillent dans les écoles, les collèges et les lycées dans tous les métiers de l’éducation, sans compter le reste de la fonction publique. Mais d’autres le portent. Et elles en ont le droit, car toutes les femmes ont ici le droit de s’habiller comme elles veulent.
Polémique stérile
Ce qui m’agace considérablement, c’est que le ministre alimente cette polémique stérile. Car tout le monde sait qu’aucune décision ne sera prise, vu que des mamans disponibles et dévouées pour accompagner les sorties, il n’y en a pas tant que cela et encore moins de papas. Les rares parents accompagnateurs bénévoles sont choyés dans la plupart des écoles, et, comme pour tous les bénévoles, la seule chose que l’école publique peut leur dire est « merci ». Merci d’être avec nous pour passer toute la journée au Louvre. Merci de venir chaque mardi à la piscine. Merci d’accompagner les CP à la bibliothèque. Merci de préparer les repas froids pour la journée canoë à la base de loisirs. Non, rien ne vous oblige à enlever votre voile pour venir nous aider.
M. Blanquer va-t-il devoir en même temps conduire la nouvelle politique d’Emmanuel Macron, destinée à prendre des voix à Marine Le Pen, et instiller un peu de haine chaque jour pour faire prendre la mayonnaise quitte à empêcher les enfants des écoles de visiter le Louvre, d’aller à la piscine ou d’aller à l’opéra ?
On est juste dans le déversement d’« éléments de langage » n’ayant plus aucun rapport avec un débat réel autour de la laïcité, qui sera forcément un débat constructif, car la laïcité est la construction commune d’un espace où nous vivrons ensemble, où nos enfants vivront ensemble et dans lequel la haine n’est jamais souhaitable. Jamais.
Véronique Decker (Ancienne directrice d’école)
• Le Monde. Publié le 08 octobre 2019 à 00h37 - Mis à jour le 08 octobre 2019 à 07h50 :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/10/08/les-musulmans-ont-droit-au-meme-respect-que-les-autres-parents_6014604_3232.html
• Véronique Decker a été directrice de l’école Marie-Curie, cité scolaire Karl-Marx, à Bobigny. Elle a notamment écrit « L’Ecole du peuple » (Libertalia, 2017) et « Pour une école publique émancipatrice » (Libertalia, 2016, 144 pages, 10 euros)
Mères accompagnatrices voilées : Blanquer s’oppose à la principale fédération de parents d’élèves
Après la publication d’une affiche de campagne sur ce sujet sensible, le ministre de l’éducation nationale et la FCPE s’accusent mutuellement d’une « erreur ».
La question des mères voilées lors des sorties scolaires enflamme, à intervalles réguliers, la scène politique. Souvent sans même que soit signalé, sur le terrain de l’école, d’« incident » à ce sujet. L’altercation – par médias interposés – entre le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et le porte-parole de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), principal réseau de parents d’élèves, mardi 24 septembre, vient d’en offrir une nouvelle illustration.
Objet du litige : une affiche de campagne de la FCPE diffusée – et caricaturée – sur les réseaux sociaux, montrant une femme voilée et une petite fille. « Oui, je vais en sortie scolaire, et alors ? La laïcité, c’est accueillir à l’école tous les parents sans exception », peut-on y lire.
Intervenant mardi en ouverture d’un séminaire sur la laïcité, organisé à Paris, M. Blanquer a haussé le ton : « Il faut être attentif à ce qu’une campagne électorale [celle des représentants des parents d’élèves, à élire les 11 et 12 octobre] ne flatte pas les logiques communautaristes, a-t-il affirmé. Ceux qui courent vers les tendances antirépublicaines de notre société courent vers leur propre perte. (…) C’est très regrettable, et je veux croire qu’il s’agit d’une erreur qui sera rectifiée. »
« On agite le chiffon rouge »
« Il ne me semble pas que l’erreur vienne de nous, a répondu Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE, lors d’une conférence de presse convoquée en urgence au siège de la fédération. Soit notre affiche – une parmi cinq, à usage interne – est illégale, et il faut l’interdire, soit elle est légale et le ministre n’a pas à se prononcer dessus. M. Blanquer crée un précédent en s’immisçant dans les élections de parents d’élèves et en appelant, implicitement, à ne pas voter pour nous. »
L’échange a fait réagir les enseignants. « On agite le chiffon rouge, sans se soucier de l’intérêt des élèves », souffle-t-on dans les rangs syndicaux. « Quelques jours après que le chef de l’Etat a durci sa position sur l’immigration, voilà le ministre, en bon élève de la Macronie, qui se positionne strictement sur la laïcité », estime un observateur de l’école.
Plus strictement ? En décembre 2017, et à plusieurs reprises depuis, M. Blanquer a exposé son « approche personnelle » selon laquelle un parent accompagnant ne devrait « normalement » pas porter de signe religieux. La loi de 2004 l’interdit aux élèves. Néanmoins, elle a pu donner lieu à des interprétations divergentes, certains, y compris au sein de la communauté éducative, estimant que les parents devraient être soumis aux mêmes obligations que le personnel enseignant.
Serpent de mer
Cette « interprétation restrictive » a notamment été celle de la circulaire Chatel de 2012 – du temps où M. Blanquer était directeur général de l’enseignement scolaire. Véritable serpent de mer, le sujet a refait surface ce printemps, lors de la discussion au Sénat de la loi Blanquer. Mardi 24 septembre, sur le plateau de BFM-TV, M. Blanquer a déclaré souhaiter « éviter au maximum, même si la loi ne l’interdit pas », le fait que des mères voilées accompagnent les sorties. « Il ne s’agit pas d’interdire, mais pas non plus d’encourager », a-t-il réaffirmé en marge du séminaire laïcité.
« Il ne s’agit pas d’interdire, mais pas non plus d’encourager »
A cette occasion, les coordonnateurs académiques estampillés « valeurs de la République » – dont l’éducation nationale a maillé tout le territoire – ont présenté, par la voix de leur ministre, leur bilan. Quelque 900 atteintes à la laïcité (contestations d’enseignement, refus d’activités sportives, de sorties pédagogiques, etc.) leur ont été signalées par des directeurs et chefs d’établissement entre avril et juillet 2019. S’ils n’observent pas de hausse globale, ils font état d’un « point de vigilance » : l’augmentation des alertes au primaire – « compensée » par leur baisse au lycée et leur stabilisation au collège. « Il nous faut être attentifs au développement d’écoles hors contrat dont certaines peuvent porter des dérives communautaires », a souligné M. Blanquer, citant également des « cas de déscolarisation de petites filles en maternelle », auxquels l’instruction obligatoire à 3 ans doit remédier.
« Pour les enseignants des générations précédentes, la laïcité était intériorisée, la chose semblait aller de soi, analyse la sociologue et politiste Dominique Schnapper. Il y a eu problème de transmission chez des professeurs plus jeunes lié à un problème de formation. » Le Conseil des sages de la laïcité, dont elle assure la présidence, a élaboré, à l’usage des personnels, un vade-mecum, sorte de boîte à outils rappelant, pour chaque situation identifiée comme problématique, le cadre juridique et des pistes d’action.
Divulgué dans sa nouvelle version mardi, le document accorde une bonne place aux parents d’élèves. « Cet usage – ce bel usage – qui veut que des enseignants sollicitent des parents de leurs élèves pour participer à l’encadrement d’une sortie scolaire n’implique pas un droit pour les parents d’accompagner ces sorties, peut-on y lire. Le choix des personnes associées à l’activité appartient en propre aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement. »
« Dans certains quartiers, il n’y a que ces mamans, très impliquées dans la vie scolaire, pour accompagner les élèves au musée, observe M. Arenas, de la FCPE. Et cela se passe souvent de manière apaisée. » Il n’empêche : « Pour éviter la polémique », dit-il, certains directeurs d’école auraient tout bonnement renoncé à organiser des sorties.
Mattea Battaglia
• Le Monde. Publié le 25 septembre 2019 à 05h21 - Mis à jour le 25 septembre 2019 à 15h14 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/25/meres-accompagnatrices-voilees-m-blanquer-s-oppose-a-la-principale-federation-de-parents-d-eleves_6012926_3224.html
« Il serait plus intelligent et digne de la patrie des droits de l’homme d’accepter que les mères voilées accompagnent les sorties scolaires »
Dans une tribune au « Monde » la géographe Elizabeth Cremieu considère qu’interdire les femmes voilées lors des sorties scolaires, c’est faire le jeu des salafistes et des islamistes. Pour elle, les autoriser, « ce serait un compromis intelligent, et compromis ne signifie pas forcément compromission ».
Le Sénat vient de voter l’interdiction pour une femme voilée d’accompagner une sortie scolaire. C’est une grave erreur politique et humaine. Nous n’aimons pas le voile et nous avons de bonnes raisons de ne pas l’aimer : pour nous – la grande majorité des Françaises et des Français non musulmans –, il symbolise le patriarcat, l’infériorité, l’oppression et la soumission de la femme.
Nous savons que dans les pays musulmans les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes, et que leurs droits sont inversement proportionnels à la taille de leur voile : interdiction de certains métiers en Iran, tutorat en Arabie saoudite, interdiction d’aller à l’école et de travailler dans l’Afghanistan des talibans. Nous savons que le voile, qui avait reculé, est imposé par l’islam wahhabite qui se répand dans le monde entier grâce à l’argent de l’Arabie saoudite, et par les Frères musulmans.
Nous considérons aussi que le voile est une offense faite aux femmes : il signifie qu’elles sont un objet sexuel qui doit se cacher pour ne pas exciter les hommes. Nous savons enfin qu’il y a débat entre musulmans sur l’obligation du voile : le voile ne fait pas partie des cinq piliers de l’islam, il n’y a dans le Coran que deux versets (sur 2 634) sur le voile, et leur interprétation est discutée.
Une erreur d’interdire
La loi de 2004 interdisant le voile à l’école au collège et au lycée et l’interdisant aux fonctionnaires et la loi de 2010 interdisant le voile intégral sont pour la majorité des Français de bonnes lois, même si elles sont critiquées par une petite partie de l’opinion et nous font passer pour des islamophobes liberticides dans le monde anglo-saxon.
Mais malgré tout, c’est une erreur d’interdire aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires. Car le voile n’a pas la même signification pour elles que pour nous. Pour certaines d’entre elles, souvent immigrées en France à l’âge adulte, une femme doit se couvrir la tête, sans voile, elles se sentent indécentes, comme nous si nous avions les fesses à l’air.
Ce voile est traditionnel. Lorsque le voile a été interdit en Iran dans les années 1930, certaines femmes ne sortaient plus de chez elles. Pour d’autres, sous influence de l’islam rigoriste en plein essor – et cet essor a parfois été toléré ou même encouragé par les pouvoirs publics, ne l’oublions pas –, le voile est une obligation religieuse, il a une valeur spirituelle.
Un obstacle à l’intégration
Et donc elles supportent courageusement, il faut quand même le dire, les problèmes liés au port du voile : impossibilité de travailler dans le secteur public, mais aussi difficulté à trouver un emploi dans le secteur privé, regards hostiles et parfois insultes dans la rue. Interdire aux femmes voilées d’accompagner des sorties scolaires est une véritable agression contre elles et un obstacle à leur intégration et à celle de leurs enfants.
Une pareille mesure ne peut qu’encourager le repli communautaire, qui est le but recherché par les salafistes et les islamistes qui sont de plus en plus influents dans les quartiers où on (les pouvoirs publics encore une fois) a regroupé les immigrés musulmans. Ils doivent jubiler !
Il serait plus intelligent et plus digne de la patrie des droits de l’homme d’accepter que les mères voilées accompagnent les sorties scolaires : elles ont envie de participer aux études de leurs enfants et à la vie de l’école, c’est une démarche à encourager, les sorties scolaires sont aussi positives pour elles, souvent enfermées dans leur quartier, que pour leurs enfants. Ce serait un compromis intelligent, et compromis ne signifie pas forcément compromission. Ce serait un signal vers les musulmans, ce serait un argument de moins pour ceux qui les victimisent et leur apprennent à détester la France.
Elizabeth Cremieu (Agrégée de géographie, présidente d’ACORA, ancienne maîtresse de conférences à Sciences Po Paris. Elle s’exprime à titre personnel)
• Elizabeth Cremieu est l’auteur du livre Géopolitique de la condition féminine, PUF, 2014
• Le Monde. Publié le 25 septembre 2019 à 05h21 - Mis à jour le 25 septembre 2019 à 15h14 :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/24/il-serait-plus-intelligent-et-digne-de-la-patrie-des-droits-de-l-homme-d-accepter-que-les-meres-voilees-accompagnent-les-sorties-scolaires_5466584_3232.html