Une étape importante dans l’institutionnalisation du genre dans le pays a été la création du ministère des Femmes, des Genres et de la Diversité (MMGyD), dès décembre 2019 par un décret qui a modifié l’organisation des ministères (décret 7/2019 et décret 50/2019). Dans la conformation de son personnel, des femmes défenseurs des droits de l’homme ayant une grande expérience dans la défense des droits de l’homme et la gestion de l’État ont été convoquées. Dans les discours d’inauguration, la ministre Elisabeth Gómez Alcorta et son équipe ont reconnu que le ministère est aussi une revalorisation de l’État et du secteur public.
Le MMGyD, qui supprime l’Institut national de la femme, se fonde sur l’engagement en faveur « des droits des femmes et de la diversité » comme « objectifs prioritaires du gouvernement » (décret 7/2019). Dans ce cadre, le MMGyD conduirait l’élaboration de l’avant-projet de loi pour la dépénalisation de l’avortement et le travail politique de mobilisation des volontés et d’agrégation des intérêts, en collaboration avec le Secrétariat juridique et technique de la Présidence. Un an après sa création, le Congrès national a approuvé la loi, pendant de manifestations massive de rue, malgré le COVID-19. La ministre Elizabeth Gómez Alcorta a considéré l’initiative formulée par la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit, avec plus de 15 ans de promotion de la légalisation de l’avortement et avec un grand appel social de classe et de génération. La ministre elle-même a utilisé le mouchoir vert, c’est-à-dire le symbole historique de la Campagne.
Le MMGyD est né avec des compétences en matière de conception, d’exécution et d’évaluation des politiques publiques sur le genre, l’égalité et la diversité, y compris le mandat normatif, une prérogative qui manquait aux institutions précédentes (il a donc pu rédiger des projets de loi à soumettre au Congrès, y compris sur l’avortement). La création du MMG&D était plus qu’un ajout sectoriel pour rendre les politiques de genre visibles et hiérarchisées. Le MMGyD a reconfiguré les actions en faveur de l’égalité des sexes dans l’État, notamment celles liées à la violence sexiste. Cela est dû à l’importance de l’articulation interinstitutionnelle et interjuridictionnelle (en raison de la qualité fédérale du système politico-administratif argentin), à l’adoption d’une approche des droits humains des femmes et de la diversité dans tous ses domaines d’action, et à la pertinence accordée aux processus consultatifs avec la société civile pour l’élaboration des politiques publiques. Ces articulations ont même été développées par des moyens virtuels lorsque l’urgence sanitaire COVID-19 a éclaté en mars 2020. À titre d’illustration, le plan d’action national contre la violence sexiste s’est appuyé sur les forums participatifs fédéraux et la participation individuelle, conformément au principe selon lequel les acteurs sociaux disposent de connaissances spécifiques en raison de leurs trajectoires d’activisme féministe.
Compte tenu de ces considérations, le MMGyD exprime une insider ggency (McBride et Mazur 2010), c’est-à-dire une agence ayant la capacité d’influencer efficacement les politiques en apportant la voix et les cadres de signification des mouvements de femmes et des groupes LGBTI+. De même, cela engage le MMGyD dans des politiques démocratiques et évite les fuites technocratiques qui résultent parfois de la bureaucratisation des questions de genre dans l’État.
La politique publique la plus emblématique du MMGyD est sans aucun doute celle de la violence fondée sur le genre. Cette politique a été conçue, pour la première fois, en tenant compte d’une prise en charge et d’un soutien complets, y compris un soutien économique pour éviter la revictimisation. Reconnaissant qu’un « changement de paradigme » est recherché, le MMGyD a construit des centres de soins territoriaux et élargi les abris, des questions qui avaient été négligées dans les expressions institutionnelles précédentes. Dans l’ordre des cadres de signification, le féminisme d’État en Argentine semble s’accommoder, en plus, des exigences du transféminisme, puisque le fémicide a été rejoint par l’attention portée au traversticide et au transfémicide.
Si les politiques de genre impliquent lier la reconnaissance et la participation à la redistribution, un autre pilier fondamental du féminisme d’État en Argentine a été la création de la Direction nationale de l’économie, de l’égalité et du genre au sein du ministère de l’économie, l’organe le plus important du pays sur le plan politique. Pour la première fois dans l’histoire, il y a un budget public avec une perspective de genre et de diversité. Dans le cadre de la modalité budgétaire « affectée », des allocations ont été prévues pour la réduction des écarts entre les sexes, avec 15,3 % des dépenses prévues. Au total, 55 programmes dans 22 agences comprennent des actions en faveur de l’égalité des sexes et représentent 3,4 % du PIB. Cette direction, sous l’égide de COVID-19, a joué un rôle clé dans les mesures d’assistance économique pour les secteurs vulnérables, notamment les femmes des secteurs urbains appauvris.
Ana Laura Rodríguez Gustá est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’université de Notre Dame (États-Unis). Elle est chercheuse au Conseil national de la recherche scientifique et technique (CONICET) en Argentine et membre de la faculté de l’école de politique et de gouvernement de l’Universidad Nacional de San Martín. Elle a publié des articles sur le genre et l’inégalité organisationnelle, les politiques publiques de genre en Amérique latine, et l’égalité des sexes et les gouvernements de gauche.
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