Lors de sa tournée africaine, Nicolas Sarkozy a fait un certain nombre de
déclarations scandaleuses et déplacées. Tout d’abord, à Dakar, il a prôné
un « partenariat » entre la France et l’Afrique qui soit en rupture avec
le passé, proposant de « chasser les vieux démons du clientélisme, du
paternalisme et de l’assistanat », mais refusant de « ressasser le passé »
colonial et écartant l’idée de « repentance ». A Libreville, il a précisé,
avec sa dialectique bien particulière : « On ne peut pas tout mettre sur
le dos de la colonisation (...). La corruption, les dictateurs, les
génocides, c’est pas la colonisation. » Avec ses discours moralisateurs et
ses rodomontades, le président français n’est pas à une incohérence près.
Le Gabon est dirigé depuis 40 ans par Omar Bongo, cet « ami fidèle de la
France », que Sarkozy a remercié pour ses conseils pendant la campagne
électorale et reçu à l’Elysée dès le 25 mai. Bongo, pilier de la
Françafrique depuis des décennies et large vainqueur d’élections au
déroulement douteux, fait actuellement l’objet d’une enquête pour recel de
détournement de fonds publics, concernant des biens immobiliers à Paris.
Selon une investigation du Sénat états-unien citée par l’association
Survie [1], il se réserverait chaque année 8,5% du budget de ce petit émirat pétrolier qui a fait les beaux jours d’Elf. Le soutien affiché du
président français est donc très surprenant quand, dans le même temps, il
fustige la corruption, le clientélisme et les dégâts causés par les
dictatures…
Dans la même veine, le Club de Paris a annoncé le 19 juillet, sous
l’impulsion de la France, un allègement de 15% de la dette bilatérale du
Gabon, sous forme de rachat anticipé à valeur décotée. Le 27 juillet, lors
de son passage au Gabon, le chef de l’Etat français y a même annoncé une
décote plus importante (20%) de la part détenue par la France, la
différence étant convertie en investissements pour sauver la forêt,
importante richesse gabonaise dont les revenus sont accaparés par le clan
au pouvoir. Pourtant, cela n’empêchera pas environ la moitié du budget de
l’Etat gabonais de passer dans le service de la dette. Une fois de plus,
la dette est au programme quand il s’agit de remercier un « parrain »
africain tout en continuant d’aspirer les richesses de son pays.
Outre le bois, le Gabon est riche en ressources naturelles : pétrole, fer,
manganèse… Son produit national brut par habitant est l’un des plus élevés
d’Afrique. Mais la population ne profite en rien de cette manne, et 62%
des Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les plans
d’ajustement structurel successifs, imposés par la Banque mondiale et le
Fonds monétaire international (privatisations, réduction des budgets
sociaux, libéralisation de l’économie, ouverture des marchés, suppression
des subventions aux produits de base, etc.), s’ils ont permis
l’enrichissement de quelques-uns et ouvert des marchés aux
multinationales, n’ont entraîné pour le peuple gabonais que chômage et
pauvreté : en 2006, le Gabon était au 124e rang sur 177 pour l’indice de
développement humain du Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD).
Aucune solution juste et durable ne pourra être trouvée tant que les
puissances occidentales, dont la France, n’auront pas tiré toutes les
conséquences de leur complicité avec des régimes dictatoriaux et
corrompus, voire génocidaires. Les signes d’amitié adressés à des
dictateurs corrompus ne font que les renforcer dans leur attitude
prédatrice et sont une insulte aux peuples qui en sont les victimes. Le
modèle économique néolibéral, soutenu par les dirigeants français, est le
terreau idéal pour l’accroissement de la dette, de la pauvreté et de la
corruption. Ce modèle, dont la dette est un des centres nerveux, conduit
in fine à une nouvelle forme de colonisation des pays du tiers-monde. Dans
son dernier livre [2], Eric Toussaint a révélé qu’au moment de
l’indépendance du Gabon en 1960, la Banque mondiale lui a transféré les
dettes précédemment contractées par la France pour la colonisation du
Gabon, en violation complète des règles du droit international. Depuis, la
mainmise des dirigeants français sur l’économie gabonaise ne s’est jamais
démentie : Omar Bongo en est avant tout le garant. Une dette constituée
dans ces conditions est illégitime et n’a pas à être remboursée.
On arrive là à un point crucial : il n’y a pas d’un côté la France et de
l’autre l’Afrique, comme le sous-entend le discours du chef de l’Etat
français, ce qui conduit à des interprétations hasardeuses. La réalité est
tout autre : il y a d’un côté ceux qui profitent du mécanisme de la dette
(créanciers, multinationales, dirigeants des pays riches, mais aussi
élites des pays du Sud qui s’enrichissent formidablement) et ceux qui le
subissent (populations du Sud, mais aussi du Nord, qui se saignent aux
quatre veines pour rembourser une dette immorale et observent souvent une
dégradation de leurs conditions de vie). En somme, Sarkozy-Bongo même
combat, et nous refusons catégoriquement la logique qu’ils défendent. Les
citoyens français, gabonais, sénégalais subissent, à des degrés divers, ce
que l’on peut appeler « la brutalité de la dette ».
La colonisation a bloqué toute forme de développement en Afrique. Grâce à
la dette, une colonisation économique s’est poursuivie sans relâche et les
indépendances n’ont été que des leurres. Aujourd’hui, les peuples
africains ne disposent d’aucune souveraineté et les décisions qui les
concernent sont prises dans les grandes capitales occidentales. Qui ne
tire pas les leçons de son passé est appelé à refaire les mêmes erreurs.
La France doit reconnaître ses fautes et réparer les ravages causés par le
pillage des richesses et la colonisation, en s’appuyant sur trois mesures
significatives : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette
extérieure publique des pays du Sud ; l’abandon définitif des politiques
d’ajustement structurel ; une juste redistribution des richesses à
l’échelle planétaire, par exemple en taxant les bénéfices des
transnationales et les grosses fortunes, à l’opposé de ce qui se fait
actuellement. Voilà de quoi initier une véritable rupture, bien loin des
figures de style de Nicolas Sarkozy.