Un an avant les JO et à la veille du XVIIe congrès du Parti communiste, le autorités chinoises procèdent à une reprise en main musclée de la sociét civile. Il y a les arrestations visibles comme celles des meneurs de la manifestation contre la pollution de Xiamen (Libération du 19 juin). Ou celle de l’environnementaliste Wu Lihong, qui a lutté contre l’empoisonnement du grand lac Taihu. Dans les deux cas, la colère publique était grande et l’Etat a puni à la fois les fauteurs de trouble et les responsables, se donnant l’image d’un régime sévère mais juste face au courroux populaire.
Visites. Il y a aussi une lame de fond répressive moins visible, et plus dure pour la société civile. Depuis un an et demi, la quasi-totalité des ONG chinoises reçoit des visites régulières de la police ou de visiteurs se déclarant « proches du gouvernement ». Une vingtaine d’ONG locales ont été sommées de ne plus accepter de fonds d’institutions ou de fondations internationales telles Ford ou Oxfam, et leurs projets arrêtés. Dans les grandes villes, beaucoup d’ONG rencontreraient depuis peu des difficultés administratives pour continuer à exister. Toutes ont un point commun : elles incluent dans leur travail une aide au développement d’ONG, l’échange d’informations sur la société civile, la formation aux droits des plus défavorisés.
La Chine a connu des vagues de répression de ses mouvements civils, mais celle-ci est l’une des plus profondes. « En supprimant ces relais précieux entre ONG, l’Etat a les mains libres pour réprimer sans que cela se sache. Cela empêche la société civile de progresser », déplore Zeng Chao, responsable dans une grande fondation humanitaire chinoise d’outre-mer. Il ne s’agit plus de faire des exemples pour dissuader les téméraires mais bien d’atomiser une société civile florissante : plus de 5 000 ONG sont apparues ces dix dernières années avec la hausse des inégalités économiques et des problèmes environnementaux. Des ONG qui participent au développement du pays : elles injectent des centaines de millions de dollars d’aide et fournissent un précieux travail dans les zones les moins développées. Elles inquiètent les autorités, car elles échappent à leur contrôle direct. « Certains dirigeants ont eu peur de la révolution orange en Ukraine et ne réalisent pas que dans un pays aussi grand que la Chine les ONG sont nécessaires pour apaiser les tensions sociales », a déclaré le Britannique Nick Young, fondateur de la revue China Development Brief, juste après qu’elle a été interdite. Courroie de transmission de l’humanitaire chinois, cette parution en ligne était la plus respectée dans le domaine [1]. Depuis plus de douze ans elle publiait des informations sur le travail des ONG chinoises ainsi que des enquêtes de terrain. Une douzaine de fonctionnaires et policiers ont fait irruption dans ses locaux pékinois le 4 juillet, saisi les ordinateurs, retenu les rédacteurs pendant trois heures en leur demandant pourquoi ils aidaient des « forces hostiles » au pays. Nick Young a été accusé de conduire des « enquêtes illégales », de révéler des chiffres non contrôlés par le bureau des statistiques et de faire des rapports sur des sujets tels que la pollution, la condition des femmes, le sida ou les minorités. L’ironie est que Nick Young, résidant en Chine depuis quinze ans, poussait les ONG chinoises à travailler avec les autorités. Mais cela n’a pas suffi.
Un magazine similaire Minjian et deux sites Internet servant de liaison aux ONG chinoises ont aussi été fermés ces derniers jours. « C’est le coût institutionnel à payer pour la stabilité du régime », explique l’économiste Wen Jiejun, impliqué depuis plus de dix ans dans le développement de coopératives rurales indépendantes et vertes. « Pour les autorités, une société civile mature ne doit pas émerger trop vite dans un pays qui compte encore deux tiers de paysans. » Il espère que cette vague de répression sera suivie d’un assouplissement et note que des ONG ne faisant pas d’ombre au régime sont tolérées.
« Récupération ». Mais, pour Zeng Chao, « on assiste à une récupération de la société civile par l’Etat, qui a appris le langage et le fonctionnement des ONG et qui les remplace petit à petit, mais sans les compétences réelles. »