Il y a deux façons d’aborder la question Dieudonné. Soit le considérer comme un politique qui utilise son don de faire rire pour propager ses idées d’extrême-droite, soit le considérer comme un comique constamment dans une provocation rafraîchissante vis-à-vis d’un système bien-pensant.
Je vais m’attacher ici à démontrer que la première hypothèse est la bonne.
Si prises une par une, les « provocations » et « dérapages » de Dieudonné ne sont justement que des « dérapages » et des « provocations », prises dans leur globalité et dans leur enchaînement chronologique, elles dessinent un parcours politique cohérent. Ce parcours le rattache aujourd’hui à l’extrême-droite anti-impérialiste, dite rouge-brune.
1) 2002-2004 : La quête identitaire, trappe à antisémitisme
Dès ses débuts en solo, Dieudonné a donné une coloration politique à son métier d’humoriste. Son duo avec Elie Semoun symbolisait en soi une forme d’antiracisme et de tolérance républicaine. Ce passé l’a longtemps protégé malgré ses dérives.
En solo, il ne va plus simplement être un symbole par sa couleur de peau, mais devenir un militant de gauche. Militant écologiste, pro-palestinien, athée, il abordera ces thèmes dans ses sketchs et ira jusqu’à les porter sur des listes électorales.
Dieudonné s’intéresse aussi à l’histoire du peuple noir. C’est cette quête identitaire, mêlée à la lutte pour le peuple palestinien, qui va le mener à se rapprocher petit à petit de l’extrême-droite.
En 2002, l’humoriste a notamment comme projet de réaliser un film sur l’esclavage. Après avoir écrit un script, Dieudonné le présente au Centre national cinématographique afin de pouvoir bénéficier de subvention à la production. Le CNC refuse, déclenchant la colère de Dieudonné (il faut savoir que seulement 10 à 15% des demandes d’aides envoyées au CNC aboutissent). A ce moment, l’humoriste analyse ce refus comme étant le résultat d’une volonté de la communauté juive d’interdire l’expression des souffrances des autres peuples, l’Holocauste devant rester la seule souffrance universelle de l’Humanité. D’où le refus de produire un film sur l’esclavage des noirs qui serait une concurrence à la mémoire de la Shoah selon Dieudonné. Pour produire cette analyse, Dieudonné se base sur le fait qu’une partie des dirigeants du CNC sont supposément juifs.
Cette affaire sera à l’origine d’une de ses premières déclarations publiques antisémites, bien avant le fameux sketch « Isra-heil ! » : « [les juifs sont] un peuple qui a bradé l’Holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort, pour monter un pays et gagner de l’argent », « [...] le lobby juif déteste les Noirs, vraiment ! Étant donné que le Noir, dans l’inconscient collectif, porte la souffrance, le lobby juif ne le supporte pas, parce que c’est leur business ! Maintenant, il suffit de relever sa manche pour montrer son numéro et avoir droit à la reconnaissance. » (Black Map, 2003).
A la concurrence des mémoires, Dieudonné ajoute donc publiquement une autre accusation qui vient expliquer la supposée politique juive dans le cinéma : affirmer une seule souffrance, plus grande que les autres, la Shoah, servirait à légitimer l’existence d’Israël. Cette explication porte en elle une certaine vision de la judéité qui pose déjà problème car inféodant tout juif à la défense d’Israël en tout lieu, y compris dans le 7e art, et y ajoutant, déjà, le stéréotype du juif prêt à tout pour faire de l’argent.
Puis, fin 2003, viendra le sketch sur France 3 et son « Isra-heil ! » de clôture, qui n’est donc ni un acte isolé ni un premier signal d’alerte à l’époque.
Après la concurrence des mémoires et son instrumentalisation pour justifier l’existence d’Israël, viendra bientôt s’ajouter une nouvelle accusation dans le discours de l’humoriste, nouvelle source de haine contre les juifs, à savoir l’accusation d’avoir participé à l’esclavage des noirs, voire de l’avoir organisé. Dieudonné exprime pour la première fois cette idée dans le JDD en février 2004 dans une interview au cours de laquelle il déclare : « Ce sont tous ces négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd’hui l’action terroriste qui manifestent leur soutien à la politique d’Ariel Sharon. Ceux qui m’attaquent ont fondé des empires et des fortunes sur la traite des noirs et l’esclavage [...] c’est Israël qui a financé l’apartheid et ses projets de solution finale. » . Ces propos sont certes tenus deux jours après la perturbation d’un de ses spectacles par des extrémistes juifs en réponse au sketch de décembre 2003, mais la colère montre ici des idées déjà matures et ayant une cohérence dans l’esprit du comique. Ces propos, pour lesquels sera condamné Dieudonné, ne peuvent être expliqué uniquement par un excès dû à la colère [1].
Toujours sur le thème de l’esclavagisme, en février 2005, alors en Algérie, Dieudonné déclara à l’Echo d’Oran : « Une partie des Juifs se sont enrichis en vendant des enfants noirs sur les marchés. Aujourd’hui, il faut réhabiliter la vérité historique et arrêter cette manipulation dont les sionistes ont l’habitude. C’est de la pornographie mémorielle ». Au cours de ce voyage, l’humoriste utilisa à plusieurs reprises l’expression « pornographie mémorielle » qui fit grand bruit en France et entraîna un procès.
Dieudonné développera par la suite l’idée que le commerce des esclaves était contrôlé par les armateurs juifs et que le Code noir, code « encadrant » la traite négrière a été une forme de reprise en main de l’esclavage par la religion chrétienne en y instaurant des règles alors qu’avant aurait régné l’arbitraire et la violence des juifs. [2] Sur Beur FM, il déclare ainsi en mars 2005 : « Le premier article du Code Noir, c’est : « Nous interdisons le commerce aux Juifs ». Mais pourquoi ? Parce que les Juifs avaient le, ce commerce-là, avaient le monopole de ce commerce depuis longtemps et qu’il fallait introduire une dimension chrétienne, c’est-à-dire qu’il fallait arrêter de castrer les mâles, il fallait arrêter de jeter les enfants à l’eau. ». Notons au passage que cet article premier du Code noir est faux et issu d’une interprétation personnelle de Dieudonné [3].
D’où vient cette idée que les juifs seraient responsables de l’esclavage des noirs ? Cette thèse surprenante de par son antisémitisme sous-jacent est à l’origine apparue aux USA, au sein de la Nation of Islam, une secte « musulmane » afro-américaine ayant une vision très particulière de la religion et du monde : le Blanc est l’envoyé de Satan, le Juif coupable de l’esclavage, et le Noir est un être supérieur, etc… Si Dieudonné ne reprend pas le délire racial de la Nation of Islam, il en reprend les arguments concernant les juifs et l’esclavage. Comment de telles thèses se sont-elles retrouvées entre les mains de Dieudonné ? Mystère.
Toujours est-il que cette thèse sera par la suite une marotte de l’humoriste, elle sera notamment l’objet d’un sketch au cours duquel Dieudonné incarnera alternativement un esclave et son riche maître, un certain « Auguste Levy », présenté comme l’ascendant de BHL, dans son spectacle Mahmoud en 2010 [4]. Etant peu concevable de faire de la concurrence sur la souffrance (qui a le plus souffert, comment et faut-il mesurer/hiérarchiser la souffrance humaine ?), cette thèse à l’avantage pour Dieudonné, de faire passer les Juifs du statut de victime à celle de bourreau via l’accusation de traite humaine. Vers la même époque, Dieudonné substitue le terme « sioniste » à celui de « juif » afin d’échapper aux poursuites judiciaire.
Dans les années 2010-2011, Dieudonné affirmera à plusieurs reprises que cette recherche identitaire autour de l’esclavage a été chez lui le déclencheur de l’engagement antisioniste, comme nous le verrons plus loin.
Professionnellement : une période globalement épargnée par les dérapages
Depuis ses débuts en solo, Dieudonné a toujours donné une coloration politique à ses spectacles, abordant des sujets tels que le rapport incestueux entre les médias et le pouvoir politique, le racisme, mais aussi la politique états-unienne, le terrorisme, la cause palestinienne.
Sur la période 2002-2004, Dieudonné, maintient de fait un certain cloisonnement entre ses prises de positions sur le « sionisme » et son travail. Sur les quatre spectacles produits sur la période, le seul à être polémique est Mes excuses en 2004, qui est une réponse et une mise en scène de ses déboires suite au sketch sur France 3. Dès le début du spectacle, Dieudonné donne le ton en commençant par ces mots « Mes excuses, ô peuple de lumière ! » qui laisse peu de doutes sur le contenu à suivre. Dieudonné attaque ensuite pêle-mêle la « pensée unique » dont il serait victime, Israël et le sionisme. Si plusieurs remarques peuvent avoir une connotation antisémite, la théorie du complot autour de la Shoah et de la création d’Israël n’apparaît pas encore dans son travail d’humoriste.
2) 2005-2008 : un comique engagé avec l’extrême-droite rouge-brune
Cette évolution politique a permis les rapprochements ultérieurs avec l’extrême-droite radicale pour qui l’antisémitisme est intrinsèquement lié au nationalisme, les juifs étant considérés comme des corps étrangers dans des Nations forcément et naturellement homogènes sans eux.
Qu’est-ce que l’extrême-droite rouge-brune à laquelle nous rattachons aujourd’hui Dieudonné ? Il s’agit en fait d’un courant diffus alliant des idées de gauche et de droite, l’exemple typique étant ceux qui, comme Alain Soral, se revendiquent de « la gauche du travail et de la droite des valeurs ». Généralement, cela se traduit par un intérêt pour des régimes autoritaires ou nationalistes ayant des tendances vaguement sociales : Syrie, Lybie, Russie, Chine, Vénézuela, Cuba selon les goûts du rouge-brun en question. Nombre des pays admirés étaient partie prenante du Bloc de l’Est en leur temps, d’où le fait que la tendance rouge-brune regroupe aussi bien des nationalistes-révolutionnaires (néonazis « sociaux ») que des nostalgiques de l’URSS, principalement des groupuscules ultra-staliniens issus du PCF. La lutte anti-impérialiste est une autre composante majeure de cette mouvance, la lutte anti-américaine, pour la protection des cultures nationales contre « l’ordre mondialisé » se traduit alors souvent par des alliances qui peuvent paraître contre-nature : catho intégristes européens marchant main dans la main avec des milices islamistes par exemple.
La rencontre avec l’extrême-droite militante s’est probablement faite pour Dieudonné via la mouvance Egalité et Réconciliation d’Alain Soral, mouvance avec laquelle l’humoriste a déjà des contacts avant même son rapprochement médiatique avec le FN. Ainsi, Dieudonné rencontre Marc George, secrétaire général d’Egalité et Réconciliation en 2004 et Soral en 2005. George sera d’ailleurs son directeur de campagne lors de sa tentative de se présenter à la Présidentielle de 2007.
Avant de continuer, il faut s’arrêter quelques instants sur Alain Soral, personnage qui deviendra petit à petit, à partir de 2005, la tête « pensante » de l’humoriste et son acolyte dans ses aventures politiques.
Pour ceux qui auraient la chance de ne pas le connaître, Alain Bonnet de Soral de son nom complet, est un ancien animateur télé et critique de mode de peu d’intérêt des années 80 [5] [6] reconverti durant les années 90 en écrivain polémiste, antiféministe et viriliste à outrance. En 2005, l’homme prend sa carte au FN, qui le présente alors comme une prise de gauche, Soral ayant, à l’en croire, appartenu au PCF. Soral possède également une association toute dédiée à sa personne : Egalité et Réconciliation (E&R) dont l’idée est de réconcilier « la gauche du travail et la droite des valeurs ».
La particularité d’E&R dans le microcosme d’extrême-droite, est de porter l’idée d’un nationalisme intégrateur sans mettre d’exclusive sur la culture chrétienne comme base permettant de se définir comme Français, ce qui permet à Soral et E&R de toucher certaines franges religieuses de l’immigration maghrébine et africaine, alors que le reste de cette nébuleuse est prête à faire des alliances avec d’autres cultures, mais sur le mode du chacun chez soi.
Ce nationalisme large, doublé d’un antisémitisme obsessionnel représenté par la lutte contre le « système », « la communauté organisée » ou encore « l’empire » dans le dialecte soralien, a en fait comme but de souder les français de longue et de fraîche date dans la défense d’une patrie commune qui serait menacée par le démon américano-sioniste dont le projet serait de dénaturer les identités de chaque peuple pour créer un ordre mondial totalitaire. Comme nous le verrons plus tard, le terme « démon » est à prendre ici dans son sens religieux, E&R ayant une vision fortement religieuse essentialiste (les maghrébins sont forcément musulmans, les européens forcément chrétiens, etc).
Ce tropisme pour l’islam se traduit au niveau international par l’alliance privilégiée avec le chiisme, courant religieux au pouvoir en Iran et dont sont aussi membres les dirigeants syriens, opposé pour des raisons ethno-religieuses aux monarchies sunnites pro-américaines du Golf.
Pour plus d’informations sur l’idéologie d’Alain Soral, je vous invite à visionner la vidéo en lien [7]. Le monologue est authentique, sans montage et typique de la diarrhée verbale que Soral produit à longueur de vidéo.
Pour en revenir à Dieudonné, c’est donc en 2005 que celui-ci rencontre son futur acolyte en antisémitisme, tout d’abord pour débattre, Soral l’ayant chargé dans un de ses livres, pour ensuite s’entendre pour taper sur leur ennemi commun. Jusqu’alors plus ou moins franc-tireur, c’est à cette époque que commence l’engagement de Dieudonné en temps que membre à part entière de l’extrême-droite anti-impérialiste rouge-brune et ses actions seront à partir de là marquées par le seau de cette mouvance.
Globalement, les années 2006-2008 consacrent le tournant médiatique à droite de l’humoriste, qui enchaînera ce qu’il présentera comme des provocations ou des soutiens à la liberté d’expression et qu’il serait fastidieux de détailler ici. De plus, ces provocations, qui à chaque fois déclenchent un buzz médiatique, ne sont que la partie émergée de l’iceberg, Dieudonné ayant compris que la proximité avec le FN peut lui assurer une promotion à peu de frais, mais cache l’engagement réel du comique avec l’extrême-droite radicale.
Loin des caméras et du buzz, fin 2005, Dieudonné met donc un deuxième pied dans la mouvance rouge-brune en participant à la conférence Axis for peace de Thierry Meyssan, adepte de la théorie du complot, pour qui le 11-septembre est un coup de la CIA pour justifier les guerres à venir et pour qui l’axe du Bien passe par l’Iran, la Syrie, la Russie et la Libye…
Pour Dieudonné, c’est le début des contacts internationaux avec les régimes proches des rouge-bruns. Ainsi, en 2006, il part avec Meyssan, Chatillon (individu discret mais omniprésent dans l’extrême-droite, de la plus classique à la plus radicale) et Soral en Syrie puis au Liban pour apporter son soutien au Hezbollah, une milice de « fiers combattants » alors en guerre contre Israël. Pour rappel, le Hezbollah est une milice chiite libanaise inféodée à la Syrie qui l’utilise pour déstabiliser son petit voisin, notamment via des attentats. Ce voyage ne sera que le premier d’une longue série : voyages en Iran en 2009, 2010 et 2012, voyage en Libye en mars 2011 en soutien à Khadafi.
2009 : le tournant de la Liste antisioniste
En 2009, Dieudonné lance la Liste antisioniste aux Européennes. La liste ne recueille que 1,3% des voix en Ile-de-France, mais au-delà des chiffres, la composition de la liste est éclairante sur les fréquentations de Dieudonné à cette époque. Parmi ses colistiers, on retrouve tout ce que la galaxie d’extrême-droite produit de plus radical : des anciens du Renouveau français (groupuscule catholique, royaliste et contre-révolutionnaire), des musulmans du Centre Zarah, une officine chiite pro-iranienne dirigée par Yahia Gouasmi, d’anciens Verts exclus du parti écologiste pour antisémitisme, des musulmans proches du FN, et bien sûr, Alain Soral.
Yahia Gouasmi, également créateur du Parti antisioniste, à « l’antisionisme » monomaniaque, résume bien les positions de cette liste : « Le sionisme a gangrené notre société. Il occupe une place majeure qui ne lui est pas destinée. Il gère les médias. Il gère l’éducation de nos enfants. Il gère notre gouvernement… et tout cela pour l’intérêt de l’étranger. », « Le sionisme il est en train d’éduquer tes enfants. Tu n’as plus autorité sur tes enfants. Il est en train de les orienter comme ils veulent, où ils veulent, même comment il faut voter. Le sionisme est chez vous, et chez nous. Il divise le foyer. Il divorce le foyer. A chaque divorce, moi je vous le dis, il y a un sioniste derrière. A chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme » [8]. Ces propos sont tellement outranciers que même le Parti antisioniste a dû se désolidariser en partie de son fondateur en expliquant que « derrière chaque divorce se cachait un sioniste » était à prendre au sens figuré…
Aujourd’hui, les langues se délient et il semblerait que Liste antisioniste ait été subventionné à hauteur de 300 000 € par l’Iran, subvention que l’on peut supposer avoir été décrochée par les réseaux iraniens de Gouasmi.
3) 2009-2013 : l’humour comme arme pour contourner la loi
La Liste antisioniste a donc été un tournant dans la vie politique de Dieudonné. Jusqu’ici, son engagement auprès de la mouvance rouge-brune s’était fait via des rencontres, des voyages, des prises de position, le tout très discrètement et sans trop interférer avec son métier d’humoriste. A partir de 2009-2010, le cloisonnement entre la politique et le travail tombe, Dieudonné transforme ses spectacles en véritables meetings politiques, utilisant l’argument de l’humour et du second degré pour dire tout haut ce qu’il pense, contournant ainsi les lois sur le négationnisme et le racisme. Avec Sandrine en 2009, il inaugure ce qui sera ensuite un passage obligé et probablement l’une des raisons du succès de ses spectacles : le quart d’heure politique pendant lequel il revient, en début de spectacle sur ses derniers déboires et rencontres politiques, se moquant de ses adversaires et multipliant les allusions borderline.
Par exemple, en 2009, Dieudonné et Gouasmi ont rencontré Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran. Le récit de cet épisode constituera une bonne partie du spectacle, justement intitulé Mahmoud, que Dieudonné présente comme un résistant, un « maître quenellier ». Dans ce même spectacle, le comique assume pleinement et pour la première fois, ses activités avec la droite radicale qu’il va jusqu’à utiliser comme matériau pour ses « sketchs ». L’on a ainsi droit à une apologie des dirigeants du Hamas et à un récit de sa soirée-restau avec Meyssan lors de son voyage en Syrie en 2006, soirée-restau qui n’est pas une invention et qui comprenait également Soral, Chatillon et un général de l’armée syrienne [9].
Un cas d’école : Shoananas, un sketch comme arme politique
Si devant les tribunaux français Dieudonné présente ses sorties et provocations antisémites comme de l’humour, ses affirmations sont toutes autre un cadre ami, cadre dans lequel il explique clairement que l’humour est une arme pour faire passer des idées politiques.
Ainsi, en avril 2010, lors d’une interview à la chaîne iranienne Memri TV, il parle d’un futur projet, Shoananas. Cette chanson, parodiant Chaud cacao d’Annie Cordy, contenant des propos antisémites, décrit le « lobby juif » conformément aux idées déjà avancées par Dieudonné : la Shoah comme instrument comme unique souffrance de l’Humanité pour récolter de l’argent et créer Israël.
Dans ses récents procès, Dieudonné présente la chanson comme une parodie, qu’il aurait co-écrit avec le terroriste Carlos lors d’un atelier d’écriture carcéral. Sur Memri TV, ses propos sont tout autre, la chanson est présentée comme une chanson pour enfants visant à les éduquer de façon ludique [10] : « je viens de terminer d’écrire une chanson, une petite chanson pour les enfants qui s’appelle Shoananas, ou j’essaye d’expliquer qu’il ne faut pas se laisser aller à cette hiérarchisation des souffrances parce que l’Humanité toute entière a souffert », et plus loin « Shoananas sortira cet été, c’est un moyen qui permettra aux enfants de danser et d’apprendre en même temps. ». Dans les vues initiales de Dieudonné, Shoananas aurait donc été pensé comme un tube de l’été pour les enfants, le propagandiste qu’il est n’oublie pas les enfants dans sa guerre contre le « sionisme »…
Cette instrumentalisation de l’humour dans sa guerre contre le « sionisme », Dieudonné l’assume une nouvelle fois complètement lors d’une interview à la chaîne francophone iranienne Sahar TV en 2011. Cette interview, mise en parallèle avec son dernier spectacle d’alors, Mahmoud, est fort intéressante et discrédite totalement l’argument de la provocation humoristique. Dieudonné y confirme ce qu’il dit dans son spectacle, qui ne peut plus alors être considéré comme une œuvre artistique à prendre au second degré, mais bien comme ce qu’il est, un meeting politique déguisé pour échapper à la loi. Entre autres déclarations, dans cette interview d’un quart d’heure, on peut l’entendre affirmer : « je me bas contre le sionisme à travers mon travail. Dans mon dernier spectacle, Mahmoud, en hommage à votre président Mahmoud Ahmadinejad qui est une voie évidemment pour les antisionistes du monde, une voie très importante. Là je ne parle pas de politique intérieure à l’Iran, que je ne connais pas ».
Toujours dans cette interview, Dieudonné confirme que l’humour de ses spectacles n’est pas du second degré : « le sionisme en France, ça commence dans les manuels scolaires [...] il a fallut aussi sortir de cette inaliénation, moi j’ai choisi l’humour. Pourquoi ? Parce que la matière première d’un humoriste c’est la bêtise humaine et le mensonge, et au final, c’est le sionisme.[...] c’est la seule arme qu’on nous a laissé. ».
Religion et sionisme : un nouveau tournant et une vision hallucinée du monde
Dans ses interviews données à des médias amis, Dieudonné tombe le masque et à partir de 2011, l’on peut y apercevoir une facette que l’on voit peu en France, celle d’un homme avec un côté religieux de plus en plus marqué au fil du temps, rompant avec son image d’incroyant construite à travers de nombreux sketchs, rejoignant progressivement les positions d’Alain Soral et d’E&R sur l’union des religions contre le sionisme.
Ainsi, dans l’interview à Sahar TV en 2011, l’humoriste nous livre une vision religieuse, quasi-mystique de sa lutte antisioniste, l’on voit un Dieudonné pour qui l’Islam et le Christianisme doivent combattre main dans la main pour combattre le sionisme, assimilé à un Mal quasi-métaphysique : « le Malin, le sionisme, tente de récupérer. En Europe il est très difficile de se repérer, c’est pour cela que je vous parlais du Christ aussi prophète de l’Islam […] Jésus a annoncé la venue du Messager, Mohammed, et il l’a anticipé. Et je pense qu’il est très important tout comme ce qui se passe aujourd’hui au Liban, que les chrétiens arrivent naturellement à l’Islam[...] les valeurs de l’Islam, c’est les valeurs du Christ.[…], [en Europe], la religion a disparue de notre système pour être remplacé par le sionisme en réalité et par les valeurs du sionisme ».
A la question du présentateur : « Pourquoi le sionisme est tant ennemi des valeurs islamiques et de la Révolution ? », Dieudonné répond : « c’est l’opposé je pense. C’est le Malin, le vice et le mensonge. L’Islam, c’est la recherche de la Vérité, le sionisme c’est la recherche de la manipulation et du mensonge. C’est la religion, une philosophie, on ne sait pas exactement ce que c’est en réalité si ce n’est le vice, la perversion et le racisme. C’est l’opposé des valeurs et chrétiennes et de l’Islam. ». Des propos stratosphériques que ne renierait pas un Yahia Gouasmi.
Ces propos peuvent surprendre et marquent une nouvelle étape, que l’on ne voit pas encore en France, dans le parcours intellectuel de Dieudonné : un retour à la religion, vue comme un rempart face au sionisme, voire comme un élément confisqué par le sionisme et qu’il faudrait donc se réapproprier, le sionisme étant le Mal, la religion qu’il chercherait à détruire est donc forcément le Bien. CQFD.
Cette vision religieuse de la lutte antisioniste, voire religieuse tout court s’affirme au cours des années 2011-2013, loin des yeux de son public. L’apothéose discrète en sera une interview au collectif musulman Amanah en mars 2013 pendant lequel Dieudonné nous parlera en long, en large et en travers de sa vision de Dieu mêlée de politique antisioniste [11] [12].
Il y exprime par exemple l’idée déjà soulignée de religion confisquée par le sionisme et explique son athéisme passé comme un résultat de la propagande sioniste : « j’étais aussi le produit en fait [par mon éducation] d’un projet politique clairement défini qu’est le sionisme, qu’est de couper, de t’arracher à tes repères, à tes valeurs et de t’en fabriquer une, tu deviens consommateur, on va te créer une religion autour de la laïcité, de deux-trois petits trucs : droits de l’homme… la prétention du système c’est qu’il remplace même les prophètes ».
Il y expose une vision mystique de la politique, qui n’a rien à envier à Soral et sa lecture des Evangiles pour comprendre la politique internationale : « lorsqu’on vient de la tradition chrétienne, il est clair que la démission du Pape annonce l’arrivée de quelqu’un [...] on est nombreux à penser que quelqu’un va arriver ». De qui Dieudonné parle-t-il ? du Christ ? de l’Antéchrist ? A cette question, il reste flou, répondant un très peu clair « oui, de toute façon, c’est certain, c’est en même temps ».
Et comme toujours chez Dieudonné, le politique précède le comique et ce retour à la chose religieuse se traduit en 2011 par son spectacle intitulé Rendez-nous Jésus. Ce spectacle contient notamment un sketch, qui aurait pu s’appeler « diffusons l’idéologie soralienne en rigolant » dans lequel Dieudonné incarne tour à tour un curé, un imam et un rabin en train de débattre dans lequel son personnage de curé affirme « notre destin commun est là, chrétiens, musulmans, main dans la main dans ce grand combat final contre Satan ! », le Satan en question étant le judaïsme qui maltraite Jésus-Christ [13]. Après ses diverses prises de positions, difficile d’y voir de l’humour. Toujours est-il qu’il est probable que cette thématique politico-religieuse prendra dans l’avenir de plus en plus de place dans le discours de Dieudonné.
Conclusion
J’espère que ce texte permettra aux derniers aveugles de se rendre compte que leur artiste préféré n’est plus un comique maniant un humour caustique mais un politique dont les spectacles s’apparentent plus à des « conférences gesticulées » d’extrême-droite, ces conférences hybrides entre le meeting politique et le spectacle, qu’à des spectacles.
J’espère aussi qu’il donnera des billes pour argumenter à ceux qui sont confrontés à des amis fans de Dieudonné. Car le cœur du combat est là : faire prendre conscience à la grande masse de ses fans (qui ne sont pas des antisémites pour la plupart, mais des idiots sans repères politiques) que « Dieudo » n’est plus un comique depuis longtemps mais un politique d’extrême-droite qui utilise son don de faire rire pour propager ses idées et qui, non content de leur servir un meeting politique en guise de spectacle, leur fait payer la place !
Samuel Préjean