En 1980, ce pays d’Afrique australe devenait indépendant, après des décennies de pouvoir colonial. Dans les années 1960, la minorité blanche refusait les pourparlers d’indépendance et mettait en place une « république » raciale, à l’image de l’Afrique du Sud. S’en suivirent plus de 15 ans de guerre durant laquelle des milliers de Zimbabwéens, en grande majorité des Africains, furent tués et violentés. Après cette crise interminable, des négociations aboutissaient à la passation du pouvoir au profit de deux mouvements nationalistes, la Zapu et la Zanu, cette dernière étant dirigée par Robert Mugabe.
Une indépendance qui a mal commencé
Pour obtenir l’indépendance, les nationalistes ont dû promettre à Londres de ne pas nationaliser la terre. Les régions agricoles les plus fertiles et industrialisées, étaient alors possédées par les colons. Cette concession faisait très mal, étant donné le fait que les paysans africains étaient relégués sur les anciennes « terres tribales » (l’équivalent des bantoustans en Afrique du Sud), souvent sans infrastructure ni services.
Parallèlement, le nouveau Zimbabwe était tenu, par la Banque mondiale notamment, de rembourser la dette extérieure accumulée par l’ancien régime colonial, ce qui voulait dire, en pratique, maintenir en place une économie orientée vers l’exportation de ressources naturelles et agricoles, au détriment d’un développement économique qui aurait servi les besoins de la majorité de la population.
Rapidement, les tensions sociales se sont aggravées. En 1983, un grave conflit a éclaté entre la ZANU qui dominait le gouvernement et le deuxième mouvement d’opposition, la ZAPU (enraciné dans la minorité ndébélée), d’où une violente guerre civile qui a fait plusieurs milliers de morts.
Descente aux enfers
Durant les années subséquentes, le Zimbabwe a été engouffré dans le conflit avec le régime de l’apartheid qui a déstabilisé toute la région. Le régime sud-africain, avec l’appui des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a littéralement mis à feu l’Angola et le Mozambique, en établissant contre les autres pays dont le Zimbabwe un dispositif militaire et économique pour les empêcher de se développer. Les puissances et leurs alliés comme le Canada dénonçaient l’apartheid, tout en fermant hypocritement les yeux sur cet effondrement et en évitant d’imposer des sanctions contre l’apartheid, comme le demandaient les États africains.
Incapable de faire face à ces impasses, le gouvernement de Robert Mugabe s’est peu à peu durci, établissant un régime de parti /État quasiment unique. Un mouvement d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), formé en partie par des dissidents de la ZANU, a tenté de s’exprimer, mais il a été violemment réprimé, de même que les syndicats et d’autres organisations communautaires. Au début des années 2000, la situation économique s’est envenimée.
Mugabe a alors tenté une fuite en avant en expropriant les fermiers blancs d’une façon désordonnée. Quelques milliers de fermes ont été envahies, plus souvent qu’autrement par des supporteurs du régime, ce qui n’a pas répondu à la demande d’une véritable réforme agraire (qui avait été bloquée au moment de l’indépendance), tout en ruinant ce qui restait du secteur agricole.
L’économie s’est effondrée, avec une fuite de millions de gens vers l’Afrique du Sud. Le chômage frappe 70 % de la population ; l’inflation atteint des taux astronomiques ; des explosions d’épidémie (le choléra notamment) traduisant l’effondrement du système de santé ; la corruption et les exactions systématiques subies par la population aux mains des policiers et des militaires, sont d’autres indicateurs d’un pays en détresse.
Ces dernières années, Mugabe a cultivé ses relations avec le gouvernement sud-africain dont les présidents Mbeki et Zuma (l’actuel chef de l’État) se sont manifestés en sa faveur, en dépit d’une vive opposition par plusieurs secteurs de la société sud-africaine. Les puissances du monde entre temps, se sont contentées de condamner verbalement les exactions du régime, sans rien faire pratiquement, et en plus, en réduisant au minimum l’aide au développement, ce qui a eu pour effet de jeter encore plus de gens dans la misère, pendant que les privilégiés du régime s’en s’ont bien tirés.
Après Mugabe
Il semble que l’armée ait de facto renversé le président en le confinant à domicile dans une situation qui demeure encore volatile. Une guerre de succession (Mugabe a 93 ans) a empoisonné le cercle du pouvoir fracturé entre les partisans de son épouse Grace et les cercles dirigeants de l’armée, dont provient le vice-président récemment limogé par Mugabe, Emmerson Mnangagwa. Celui-ci a été pendant plusieurs années le fidèle second de Mugabe et de son système de violence et dès lors, il n’apparaît pas très crédible aux yeux de ce qui reste de l’opposition. Par contre pour la population, le départ de Mugabe est perçu comme le début d’une sortie de l’enfer.
Pour que ce miracle survienne, il faudra cependant plus que le départ du vieux dictateur. Le tissu social et économique de ce pays a été dévasté, cela sera une lourde tâche de le réparer. Une bonne partie de la main d’œuvre active, aussi bien les paysans qui sont devenus des ouvriers agricoles en Afrique du Sud (où ils subissent des conditions misérables) que les classes moyennes (également réfugiés en Afrique du Sud), serait requise pour participer à cette reconstruction. Mais dans les conditions actuelles, il est douteux qu’une majorité revienne au pays.
Des responsabilités partagées
La crise zimbabwéenne est certes le résultat d’une terrible malgestion par Mugabe et de ses proches. Mais il serait naïf de lui faire porter tout le blâme. Les conditions qui ont été imposées lors de l’indépendance, puis les politiques économiques de l’ « ajustement structurel » prescrites par la Banque mondiale et les pays riches, la nonchalance dans laquelle ces puissances ont laissé l’Afrique du Sud de l’apartheid détruire la région jusqu’en 1994, ont largement contribué à la faillite de l’État. Il faudra que le peuple zimbabwéen défie ce dispositif du pouvoir dont les fils passent par des régimes répressifs liés à et/ou tolérés par ce qu’on appelle, à tort selon moi, la « communauté internationale ».
Pierre Beaudet