Quand quelqu’un meurt, tout le monde a des éloges pour lui. Il ne fait aucun doute que Brian Mulroney a eu un impact majeur sur le Canada, mais dans presque tous les cas, c’était pour le pire. J’étais présidente du Comité national d’action (CNA) sur la condition féminine lorsque Brian Mulroney était premier ministre. J’aime à penser que nous étions son ennemi juré. Nous l’avons combattu sur le libre-échange, l’avortement, les changements constitutionnels et les droits des Autochtones, entre autres questions.
Ce qu’aucun des hommages ne mentionne, c’est que Mulroney a tenté de recriminaliser l’avortement. Après une lutte de plusieurs décennies, nous avons réussi à obtenir le droit à l’avortement en 1988 lorsque la Cour suprême a invalidé la loi sur l’avortement. Après la décision, Mulroney a tenté de criminaliser à nouveau l’avortement avec une loi qui rendrait l’avortement illégal à moins que la santé ou la vie de la femme ne soit en jeu. Cette loi était encore plus stricte que la loi sur l’avortement de 1969 qui a été invalidée. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes, où les conservateurs étaient majoritaires, mais a été rejeté au Sénat par une marge d’une unité. Celle-ci, c’était Pat Carney, son bras droit dans la lutte pour le libre-échange, mais une féministe pro-choix convaincue. Il l’a congédiée du cabinet, mais elle a tenu bon. Il s’agit peut-être de la seule initiative gouvernementale d’envergure jamais rejetée par le Sénat. Le mouvement pro-choix avait bâti une majorité si puissante en faveur de la liberté de choix en matière d’avortement que même un gouvernement conservateur majoritaire n’a pas pu faire adopter un projet de loi.
Mais la contribution la plus importante de Mulroney a été la négociation de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada. Les idées de néolibéralisme, de libre-échange, de coupes dans les services sociaux, de réductions d’impôts et de privatisation avaient pris racine en Grande-Bretagne avec Margaret Thatcher et aux États-Unis avec Ronald Regan. Une vaste coalition de groupes appelée le Réseau pro-canadien a combattu le libre-échange, comme nous appelions le néolibéralisme à l’époque, et a réussi à le retarder pendant plusieurs années. C’est la commission de l’emploi de la NAC, en particulier l’économiste Marjorie Cohen, qui a souligné que le libre-échange avec les États-Unis saperait nos programmes sociaux.
Mais l’impact majeur de la NAC sur le règne de Mulroney s’est produit lors des débats constitutionnels. Mulroney était obsédé par l’idée que le Québec signe la constitution, ce qu’il a refusé de faire lorsque Pierre Elliott Trudeau a rapatrié la constitution. Aujourd’hui, tout ce dont nous entendons parler, c’est de l’Accord du lac Meech, qui a été rejeté au moment où j’ai été élu président du CNA. Mon premier discours a eu lieu lors d’un rassemblement en l’honneur d’Elijah Harper, le député autochtone de l’Assemblée législative du Manitoba qui s’est tenu debout avec une plume d’aigle pour refuser la tenue d’un vote sur l’Accord. Le consentement unanime des provinces était nécessaire.
Mulroney n’a pas baissé les bras. Il a procédé à la préparation d’une nouvelle tentative d’amendement de la Constitution. Ce processus a été à peu près le plus démocratique que nous ayons jamais vu au Canada, du moins au début. Se rendant compte qu’il n’avait que très peu de soutien public pour les changements, il a demandé à des organisations politiques indépendantes d’organiser des conférences constitutionnelles populaires dans cinq villes, chacune sur un sujet différent. Un tiers des invitations étaient ouvertes à des citoyens ordinaires choisis par tirage au sort, un tiers à des groupes comme le CNA et les syndicats et un tiers à des politiciens. Le CNA a décidé de s’adresser à chacun d’entre eux et d’intervenir activement. Nos plus grandes préoccupations étaient le transfert de pouvoirs aux provinces pour répondre à la demande du Québec pour plus de pouvoir. Nous avons convenu que le Québec était une société distincte et qu’il devrait avoir des pouvoirs spéciaux alors que le reste d’entre nous avait un gouvernement fédéral fort. À leur grande surprise, nous avons gagné la conférence d’Halifax et rejeté leur proposition. À chaque conférence, le CNA, le Congrès du travail du Canada (CTC) et l’Assemblée des Premières Nations (APN) ont réussi à faire échouer ou à modifier fondamentalement les propositions du gouvernement. Lors de la dernière conférence à Vancouver, ils ont tenté de renverser les décisions des autres conférences, mais ont échoué.
Il a ensuite rencontré les premiers ministres provinciaux et les dirigeants autochtones masculins à huis clos à Charlottetown et a rejeté presque toutes les recommandations des conférences, revenant à ses propositions initiales. Ils ont décidé de tenir un référendum sur un projet de loi qui s’appelait l’Accord de Charlottetown. Le CNA a décidé de dire non. Les trois partis politiques, tous les premiers ministres provinciaux, l’APN et même le CTC étaient du côté du « oui ». Le CNA a décidé de dire non parce que les femmes autochtones s’y opposaient, une clause canadienne qui, selon les avocats, menacerait les droits des femmes et la dévolution du pouvoir aux provinces qui menaçait les programmes sociaux, en particulier un programme national de garde d’enfants, que nous n’avions pas encore gagné. Partout, les gros titres disaient : « Le CNA dit non. » Les seules personnalités importantes du camp du « non » étaient Preston Manning, alors chef du Parti réformiste, et moi-même. Il va sans dire que nous nous sommes opposés aux amendements pour différentes raisons.
Les sondages ont montré qu’après que le CNA ait dit non, l’appui au « non » a considérablement augmenté et, bien sûr, l’Accord de Charlottetown a été rejeté. J’ai beaucoup appris sur le pouvoir à cette époque. L’Accord a été rejeté, mais ils ont quand même mis en œuvre presque tout ce qu’ils voulaient faire par voie législative. Maintenant, même s’il s’agissait du processus le plus démocratique de l’histoire du Canada, ou peut-être parce qu’il l’était, personne n’en parle jamais.
Oui, Brian Mulroney a combattu l’apartheid. Oui. Il a contribué à mettre fin aux pluies acides. Mais il a aussi introduit le capitalisme sauvage au Canada sous la forme du libre-échange avec les États-Unis. Je ne le connaissais pas personnellement. J’ai travaillé avec ses sbires, Joe Clark, Michael Wilson et Kim Campbell. La seule fois où je l’ai rencontré, c’était l’année précédant mon entrée en fonction du CNA. En tant que représentante de la Société canadienne de l’ouïe, j’ai été coprésidente d’une coalition de personnes handicapées sur l’équité en matière d’emploi avec Beryl Potter, une triple amputée. Je me suis arrangé pour qu’un groupe d’entre nous le croise dans les couloirs du Parlement. Son personnel lui avait probablement dit qu’un petit groupe de touristes handicapés se trouvait dans le hall et que cela ferait une bonne séance de photos. Il marchait dans le couloir avec son allure arrogante habituelle avec un grand sourire sur le visage. Puis il a vu Beryl, qu’il connaissait, puis il m’a vu, moi que tout le monde connaissait de la lutte pro-choix. L’expression paniquée sur son visage à ce moment-là a été l’un des moments forts de ma carrière politique. Beryl l’a attrapé d’un bras et ne l’a pas lâché jusqu’à ce qu’il promette de renforcer le projet de loi sur l’équité en matière d’emploi.
Il ne l’a pas fait, mais j’ai convaincue Beryl de lâcher prise.
Judy Rebick
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