C’est un double soulagement qui prévaut au Nigéria. En effet, les élections se sont déroulées sans flambée de violence, et Goodluck Jonathan, le président en exercice, a été battu.
Avec un score de 54 % des voix, Muhammadu Buhari a remporté une large victoire confirmée lors des élections gouvernatoriales, où son organisation, l’APC (All Progressives Congress), gagne 21 États sur les 36 que compte la fédération du Nigeria.
Malgré les menaces de Boko Haram et les nombreux incidents techniques qui ont émaillé le scrutin, les Nigérians se sont massivement mobilisés pour mettre fin à quinze années du pouvoir du People’s Democratic Party (PDP).
Des dirigeants discrédités
Si le FMI et la Banque mondiale ferment les yeux sur la corruption et la dilapidation des ressources du pays par le clan gouvernemental, en revanche ils ont exigé la fin des subventions à l’énergie, qui mécaniquement ont fait augmenter les prix du transport et des produits de premières nécessité pour la population. Le chômage est endémique et les services publics sont délabrés.
La lutte contre Boko Haram est un exemple tragique de la politique délétère du gouvernement. Dans un premier temps, sous prétexte de lutte contre la secte islamique, l’armée nigériane passait l’essentiel de son temps à attaquer les populations et à exécuter les jeunes soupçonnés d’en être membres, ce qui n’a fait que renforcer la base sociale du groupe djihadiste. Puis, considérant que Boko Haram était un problème du nord du pays, le gouvernement s’est progressivement désintéressé de cette affaire. C’est seulement trois semaines après, lorsque la mobilisation internationale contre l’enlèvement des jeunes filles de Chibok étaient à son fait, que Goodluck a daigné faire une déclaration… et sa seule action fut d’emprisonner les activistes de l’organisation BringBackOurGirls.
Boko Haram a mis en lumière aussi l’état de délabrement de l’armée nigériane qui pourtant bénéficie de 40 % du budget national. Mais ces sommes sont détournées par les officiers supérieurs qui laissent sans munition les hommes de rangs face aux djihadistes. Pour se dédouaner, les autorités ont fait comparaître devant les tribunaux pour mutinerie des soldats qui ont fui. Ils risquent la peine de mort.
Buhari, un espoir sans fondement
Dans cette situation des plus chaotiques, Buhari s’est présenté comme l’homme de la situation, intègre et capable de restaurer l’ordre.
L’intégrité de cet ancien putschiste, qui a mené deux coups d’État, est des plus discutables. Lors de son bref passage au pouvoir, il a fermé les yeux sur les évasions de capitaux de certains dignitaires. Quant à l’ordre, sa conception bien particulière se confond avec de nombreuses violations des droits humains : il a écrasé dans le sang des révoltes islamistes et emprisonné nombre de militants des droits de l’homme ainsi que des syndicalistes.
Son projet économique est teinté de nationalisme, au moins dans les discours, mais ne se différencie guère de celui de son prédécesseur. Son mentor en économie est Bola Ahmed Tinubu, l’ancien directeur de la branche nigériane de la multinationale Mobil Oil et un des hommes les plus riches du pays.
La volonté d’un changement politique qui s’est manifestée dans ce pays peut être une opportunité pour les forces progressistes qui, malgré leur faiblesse, peuvent s’appuyer sur un mouvement syndical puissant pour défendre les droits économique et sociaux des populations et à terme construire une alternative.
Paul Martial