Après avoir remporté les élections régionales dans l’Assam, en mai 2016, le Parti du peuple indien (BJP), la formation nationaliste hindoue du Premier ministre Narendra Modi, s’était juré de régler les différends frontaliers entre cet État du nord-est de l’Inde et le Bangladesh. L’idée était de renvoyer dans le pays voisin les musulmans dont la présence est jugée“illégale” sur le territoire indien.
Deux ans plus tard, on entre dans le vif du sujet : lundi 30 juillet, les autorités locales doivent remettre à la Cour suprême la liste de ceux qu’elles considèrent comme indésirables. Dans cette perspective, indique The Indian Express, elles ont obtenu de New Delhi “le feu vert pour construire un camp de détention destiné à accueillir 3 000 personnes qui ne seront pas en mesure de prouver leur citoyenneté indienne”.
Des millions de personnes concernées
Il existe déjà six camps de ce type dans l’Assam, où sont gardées sous surveillance environ 1 000 personnes, et au total la justice estime que “85 000 individus” vivant dans la région sont des“étrangers”. Jeudi 26 juillet, souligne The Indian Express, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Modi, Rajnath Singh, a assuré que les personnes concernées n’avaient “aucune raison de s’inquiéter” et que toutes auraient “la possibilité de faire des réclamations”. Il n’en reste pas moins, ajoute le journal, que le processus d’identification “touche à sa fin” et qu’il y a de quoi “s’interroger sur le sort de ceux qui ne trouveront pas leur nom sur les listings officiels”.
Début juillet, une pétition lancée sur la plateforme Avaaz a expliqué que “7 millions de musulmans [allaient] bientôt pourrir dans des camps de prisonniers”, ce que les autorités démentent. The Hindustan Times rappelle quant à lui qu’une première liste de citoyens indiens de l’Assam a été publiée le 31 décembre dernier, sur laquelle figuraient 19 millions de noms. “La seconde liste [à paraître le 30 juillet] devrait fixer le sort des 13,9 millions d’habitants restant” et commence à donner des idées à d’autres États de l’Union indienne où le BJP est au pouvoir, seul ou en coalition, notamment le Nagaland, un territoire connu pour avoir la plus grande concentration de minorités ethniques du pays.
La citoyenneté définie par la religion
Le gouvernement Modi “devrait se souvenir des erreurs commises par le Pakistan à l’égard de l’actuel Bangladesh” après la partition de 1947, estime le site d’information Scroll. À l’époque, Islamabad “avait déclaré l’ourdou langue officielle”, ce qui avait posé un gros problème aux habitants de ce qui était alors le Pakistan-Oriental, où l’on parle bengali. Ce qui se passe aujourd’hui dans l’Assam est du même acabit. “Au fond, la question est la suivante : est-ce la religion ou la langue qui doit définir la citoyenneté ?”
Le BJP a choisi : c’est la religion. “La loi prévoit que les immigrés illégaux arrivés en Inde après l’indépendance du Bangladesh, en 1971, ne peuvent pas être déportés dès lors qu’ils sont hindous, jaïns, sikhs, bouddhistes, zoroastriens ou chrétiens”, précise Scroll, ce qui signifie qu’a contrario “les musulmans sont éligibles à la déportation”. La religion est clairement devenue “une arme politique”, dénonce Udayaditya Bharali, ancien directeur du Cotton College de Guwahati, la capitale de l’Assam.
Guillaume Delacroix
* « Comment les nationalistes hindous planifient l’expulsion des musulmans de l’Assam ». Courrier International, 30 juillet 2018 :
https://www.courrierinternational.com/article/inde-comment-les-nationalistes-hindous-planifient-lexpulsion-des-musulmans-de-lassam
Inde : des millions de musulmans sous la menace de la déchéance de nationalité
En Inde, près de 4 millions de personnes, principalement des musulmans, pourraient perdre leur nationalité à la suite d’un processus de recensement. Celui-ci est mené dans l’Etat de l’Assam, frontalier avec le Bangladesh et a pour but d’identifier les migrants illégaux qui sont arrivés depuis ce pays voisin dans les 47 dernières années. Une première liste vient d’être rendue publique, excluant 4 millions de résidents. Les autorités craignent des tensions.
De notre correspondant à New Delhi,
Cela fait des années que cette liste est réclamée car la frontière entre cette région de l’Assam, au nord-est de l’Inde, et le Bangladesh, est très poreuse. Et dans les années 1970, des centaines de milliers de Bangladais la traversent pour fuir les affrontements de la guerre d’indépendance du Bangladesh. Certains réfugiés restent et obtiennent la nationalité indienne : entre 1971 et 1978, le nombre d’électeurs dans la région augmente ainsi de 50%. Et cette migration illégale continue, parfois tolérée par les partis politiques qui offrent des cartes d’électeurs à ces personnes en échange de leurs votes. Les musulmans deviennent ainsi plus nombreux que les hindous dans certains districts, ce qui entraine des conflits communautaires. En 2015, la Cour suprême accepte donc de superviser un nouveau recensement, qui vient maintenant de se terminer. La règle est claire : toute personne qui ne peut prouver sa présence en Inde avant la guerre de 1971 ne peut être considérée comme indienne.
Des vétérans de l’armée indienne… exclus
Cette liste, rendue publique ce lundi 30 juillet, exclut donc 4 millions de personnes, soit 12% de la population de l’Assam, qui ne sont théoriquement plus indiennes. Et des erreurs flagrantes sont déjà apparues : des vétérans de l’armée indienne ont par exemple été exclus des listes car ils n’ont pas pu voter dans l’Etat lors des dernières élections. Cela a entraîné un vent de panique dans l’Assam, et a poussé le ministre fédéral de l’Intérieur à réagir : il affirme que ces personnes pourront faire appel jusqu’à fin septembre.
Mais la première victime pourrait être la population musulmane. Beaucoup craignent que le gouvernement nationaliste hindou, au pouvoir régional et national, utilise ce recensement pour chasser les musulmans, qu’ils soient illégaux ou pas, sous prétexte qu’ils ne pourraient prouver leur présence sur place depuis près de 50 ans. Les responsables de ce parti ne cachent pas leur intention de faire de l’Inde une terre hindoue.
La situation est donc très tendue ; on ne sait pas ce qui arrivera à tous ceux qui ne seront plus considérés comme citoyens. Deviendront-ils apatrides, seront-ils expulsés ? Pour l’instant, le gouvernement dément ces théories, mais certains n’hésitent pas à faire le parallèle avec la situation en Birmanie voisine, où le gouvernement pro-bouddhiste a déchu de la nationalité des millions de Rohingyas, sous prétexte qu’ils viendraient, là aussi, du Bangladesh. Ce qui a entraîné la plus grande crise humanitaire qu’a connu la région ces dernières décennies
Sébastien Farcis
• Publié le 01-08-2018 • Modifié le 01-08-2018 à 13:14 :
http://m.rfi.fr/asie-pacifique/20180801-inde-4-millions-personnes-menaces-nationalite-perte-musulmans