La visite à Katmandou de Fatema Sumar, vice-présidente du MCC (Millénium Challenge Corporation), du 9 au 13 septembre n’a pas comblé les profonds clivages divisant la classe politique népalaise sur l’acceptation ou le rejet de l’accord MCC (consulter ici en exclusivité le texte intégral).
Toutefois, au lendemain du départ de Fatema Sumar, survient la nomination éclair de Narayan Khadka, nouveau ministre népalais des affaires étrangères, immédiatement suivie de la prestation de serment devant le président de la République.
Narayan Khadka s’est envolé séance tenante à destination de New York afin de participer à l’Assemblée générale de l’ONU, qui sera suivie d’une « visite de travail » à Washington. « Il n’y aura pas d’amendement à l’accord MCC, qui est dans l’intérêt du pays », a déclaré à À New York le nouveau chef de la diplomatie népalaise.
ACCÉLÉRATION DU PROCESSUS
L’attribution de ce portefeuille essentiel était bloquée depuis le mois de juillet par des dissensions internes à la majorité parlementaire, une coalition hétéroclite et en pleine recomposition, regroupant le parti du Congrés et l’un des partis communistes maoïstes.
Selon des sources proches du dossier consultées par Asialyst, l’attribution précipitée de ce poste délicat à Narayan Khadka, un politicien expérimenté, titulaire d’un doctorat d’économie d’une grande université canadienne, chef d’un groupe au sein du NCP (Nepali Congress Party), doit beaucoup aux pressions exercées par le gouvernement des États-Unis. Washington s’impatiente et s’inquiète des tergiversations népalaises.
PARADOXE NÉPALAIS
Dans aucun autre pays, une offre d’aide d’un demi-milliard de dollars n’a fait l’objet de motions de rejet au parlement et de manifestations d’opposants dans les rues.
Selon un expert en accords de coopération, rien dans le texte de l’accord ne diffère fondamentalement des autres accords MCC. Les atteintes à la souveraineté nationale, décriées par les opposants népalais, sont standard.
L’exception népalaise doit beaucoup à la déclaration, d’une surprenante spontanéité, de l’ancien sous-secrétaire d’État à la Croissance économique et de l’Énergie dans l’administration Trump, Keith Krash : « Le MCC fait partie de la stratégie globale [des États-Unis] d’encerclement de la Chine. »
À partir de cette saillie lancée lors du forum économique indo-pacifique en novembre 2019 à Bangkok, répercutée et mise en valeur par les medias, le MCC est devenu un instrument de politique intérieure népalaise.
Les futurs employés américains du MCC sont désormais perçus comme des militaires en civil, ou des agents de la CIA, venant, sous couvert de coopération, espionner le grand voisin du Nord, la Chine. Jamais les agents d’influence de Pékin n’auraient rêvé de recevoir une assistance aussi précieuse émanant d’un sous-secrétaire d’État du gouvernement américain !
L’EXEMPLE SALVADORIEN
En Amérique centrale, où les intérêts stratégiques des États-Unis ne sont pas de même nature qu’au Népal, la MCC s’est rapidement impliquée, sans aucune opposition, dans le « Triangle Nord » (Guatémala, El Salvador et Honduras) et au Nicaragua.
À El Salvador, le plus gros bénéficiaire avec le Népal, les accords avec la MCC ont financé des aménagements routiers (461 millions de dollars pour une première tranche en 2006, puis 277 millions en 2014). Dans ce petit pays de 6,5 millions d’habitants, dont 3 millions résidant – souvent illégalement – aux États-Unis, l’élection présidentielle de 2009 est remportée par un Mauricio Funez, soutenu par le FMLN, l’ancienne guérilla marxiste qui a lutté contre l’armée, soutenue par les Américains durant la guerre civile (1980-1992). Son successeur au bout de 5 ans sera à nouveau le candidat du FMLN et l’un des principaux ex-commandants de la guérilla, Salvador Sanchez Ceren.
À l’évidence, les fonds MCC sont une arme politique. Cette agence du gouvernement américain peut décider à tout moment de suspendre le programme, ou d’exclure El Salvador de la liste des pays bénéficiaires.
Ce qui a, selon un expert de l’Amérique Centrale consulté par Asialyst, manifestement bridé les ambitions réformatrices des derniers présidents salvadoriens.
Francis Christophe